Le livre du mois de septembre : Elisée Reclus - Penser l’humain et la terre de I. Louviot et G. Peignard présenté par José Rose

vendredi 1er septembre 2023
par  MEAD Christine
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Isabelle Louviot et Georges Peignard, Elisée Reclus - Penser l’humain et la terre, Le Tripode, 2023, 23 euros

Qui connaît encore Elisée Reclus ? Et que peut-il nous dire aujourd’hui ?
Ces questions sont à l’origine de l’ouvrage d’Isabelle Louviot qui propose une biographie de ce « géographe et visionnaire, militant et théoricien anarchiste, végétarien et naturiste précoce, voyageur sensuel et écrivain prolixe ».

Ce beau livre, riche d’extraits des écrits de Reclus, est accompagné de peintures de Georges Peignard, de puissants portraits d’humains, d’animaux et de paysages.
Reclus, écrit Louviot, est un « graphomane érudit et sensuel » qui a « déployé son écriture dans toutes sortes de genres, et, « dans ce foisonnement d’écrits, qu’ils soient amoureux, politiques, géographiques, on reconnait toujours la voix d’Elisée Reclus ». De fait, son art des portraits et des descriptions, rend vivante son écriture, qu’il s’agisse de correspondances, de guides de voyage ou d’ouvrages plus théoriques. Tel un géographe qu’il est, il voit, décrit, analyse, peint pour «  saisir le monde », sachant à merveille « embrasser, détailler, suivre, relier, penser, aimer ».
Fasciné par la beauté du globe, il est convaincu qu’il faut en prendre soin pour le conserver, plus encore pour y contribuer.
Travaillant longtemps chez Hachette, il écrit de nombreux ouvrages. Dans sa Nouvelle géographie universelle, il précise ainsi les règles de son métier et toutes les précautions à prendre avant de « se hasarder à dire que l’on connait la Terre ». Cela suppose avant tout d’étudier les liens entre les espaces et les phénomènes car tout se tient dans les mouvements de la Terre.
Il publie aussi une Histoire d’un ruisseau, « hymne démultiplié au vivant et à la nature initiatrice, mais aussi métaphore de l’histoire humaine, avançant, selon l’optimiste Reclus, vers un avenir heureux  ». Il évoque ainsi le plaisir du bain. « Quand on aime bien le ruisseau, on ne se contente pas de le regarder, de l’étudier, de cheminer sur ses bords, on fait aussi connaissance plus intime avec lui en plongeant dans son eau ». Et l’on retrouve ainsi un plaisir d’enfant.
Il est également saisi par la beauté de la montagne qu’il évoque dans Histoire d’une montagne, faisant l’analogie avec celle de la planète comme « une destruction incessante, un renouvellement sans fin  ».
Précurseur, il l’est aussi sur la question animale, considérant que « humain et animal sont de la même famille » et ne supportant pas l’acharnement des humains à dominer et tuer cruellement les animaux. Végétarien dès l’enfance, il appliquera cette conduite toute sa vie mais, loin de tout dogmatisme, il veillera à « s’accommoder aux conditions ordinaires de la vie ».
Reclus est aussi une conviction, celle de l’anarchiste qu’il affirme et affine à mesure de sa vie. C’est sans doute la raison de son rejet et de l’oubli, ce qui ne l’empêchera pas de garder jusqu’au bout sa vitalité d’anarchiste, comme en témoigne une lettre écrite en 1901 pour l’ouverture d’un congrès.
Outre un anti étatisme affirmé et un rejet des nationalismes, il exprime fermement son opposition au vote en l’argumentant avec précision dans une lettre de 1885 devenue fameuse. « Voter c’est abdiquer : nommer un ou plusieurs maîtres pour une période courte ou longue, c’est renoncer à sa propre souveraineté ». « Voter, c’est être dupe ; c’est croire que les hommes comme vous acquerront soudain, au tintement d’une sonnette, la vertu de tout savoir et de tout comprendre ». « Voter c’est évoquer la trahison ». « N’abdiquez donc pas, ne remettez donc pas vos destinées à des hommes forcément incapables et à des traîtres futurs. Ne votez pas ! Au lieu de confier vos intérêts à d’autres, défendez-les vous-mêmes ; au lieu de prendre des avocats pour proposer un mode d’action futur, agissez ! Les occasions ne manquent pas aux hommes de bon vouloir ».
« Il faut chercher âprement la vérité, écrit-il aussi dans Les Temps nouveaux, trouver le devoir personnel, apprendre à se connaître soi-même, faire continuellement sa propre éducation, se conduire en respectant les droits et les intérêts des camarades. Alors seulement on devient réellement moral, on nait au sentiment de responsabilité  ».
Mais, s’il soutient la révolte contre l’oppression, il n’approuve pas la violence, incapable d’égaler « la lente pénétration de la pensée par la parole et par l’affection ».
En fait, Reclus est avant tout un humaniste et un réformateur, ennemi de l’immobilité comme Fourier à la même époque. Mais, pour lui, «  les transformations se font avec lenteur et par conséquent, il faut y travailler avec d’autant plus de conscience, de patience et de dévouement  ». « C’est de proche en proche, par petites sociétés aimantes et intelligentes, que se constituera la grande société fraternelle ».

Reclus est ainsi un savant qui s’occupe de politique et s’engage pour les grandes causes de son époque. Il est acteur de la Commune, ce qui le conduira en prison et le condamnera à l’exil en Suisse. Malgré cela, sa volonté et sa confiance restent intactes. « Puisque tout est perdu, écrit-il dans une Lettre à Nadar, recommençons la vie à nouveaux frais, faisons comme si, en sortant d’un sommeil de cent mille ans, nous apercevions que tout est à conquérir : patrie, liberté, dignité, honneur  ». Il analyse aussi l’esclavagisme découvert lors de ses voyages en Louisiane et en Nouvelle Grenade, et écrit, en 1861, un article dans La Revue des deux mondes analysant tous les arguments des protagonistes, planteurs et abolitionnistes. Il a même des idées sur l’enseignement de la géographie, préférant à l’analyse des cartes et des livres, «  les longues promenades communes » au cours desquelles on apprend en compagnie des élèves.
Homme parmi les hommes, Reclus est aussi un amoureux et un ami, comme en témoigne une de ses lettres à Nadar : «  J’aime bien mes bons amis et vis avec eux en pensée dans un idéal de justice et de bonté ».
Emerge ainsi le portrait d’un homme qui allie rigueur et conviction, jubilation et amitiés. Un homme, écrit Louviot, qui assure « la contraction heureuse » « de l’être au monde (on est là, présent, vivant, les pieds sur terre) et celle de l’être dans le monde (on l’observe, on s’élance pour le changer, on veut y jouer sa partition personnelle)  ». Et, s’il se « méfie des lois », il «  a confiance dans l’être humain. Chacun doit travailler à s’appartenir » car l’homme est «  un être libre, nécessaire et actif, qui s’unit, il est vrai, avec ses semblables, mais ne se confond pas avec eux ».
Une « voix pour qui veut entendre », écrit Louviot. Un personnage à découvrir et un livre à offrir.


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