Le Film du Mois d’Août 2020 : "Abou Leila"
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Ce mois-ci, le film d’ Août s’inscrit dans la lignée de ce jeune cinéma algérien, esthétiquement ambitieux et imprégné du très récent contexte historique. Le film n’est pourtant pas un pamphlet politique, il est plutôt à mi-chemin entre le thriller psychologique et l’errance psychédélique.
Abou Leila - Réalisateur : Amin Sidi-Bloumédiène - Sortie : 15 juillet 2020 - Durée : 133 minutes.
Synopsis : Algérie, 1994. S. et Lotfi, deux amis d’enfance, traversent le désert à la recherche d’Abou Leila, un dangereux criminel. La quête semble absurde dans l’immensité du Sahara. Mais S., dont la santé mentale est vacillante, est convaincu d’y trouver Abou Leila. Lotfi, lui, n’a qu’une idée en tête : éloigner S. de la capitale. C’est en s’enfonçant dans le désert qu’ils vont se confronter à leur propre violence.
Au milieu des années 1990, en pleine décennie noire en Algérie (marquée par les attentats sanglants des Groupes Islamiques Armés), un homme armé s’approche d’une voiture sur le point de démarrer et abat le conducteur. Arrivée d’un véhicule de police en patrouille, échange de coups de feu avec l’assaillant, qui réussit à prendre la fuite… Petit saut temporel, on retrouve deux hommes, Lofti et S. – personnage jamais nommé –, en route vers le Sud du pays, à la poursuite d’Abou Leila, un terroriste dont on finira par se demander s’il existe vraiment…
En distillant d’entrée ces quelques indices narratifs, le réalisateur Amin Sidi-Bloumédiène plonge le spectateur dans un bain de mystère qui perdure jusqu’à la fin du film. Climat énigmatique dont même la résolution finale ne livre pas toutes les clés, laissant la place à l’imagination et à l’intuition du spectateur. C’est le tour de force de ce premier film, qui est l’un des plus forts et des plus originaux consacrés à la guerre civile algérienne. Loin des points de vue habituels sur le sujet, des pamphlets à charge ou des films réalisés avec trop de recul par des exilés, Abou Leila livre le regard d’un cinéaste qui a vécu adolescent dans cette Algérie à feu et à sang.
Amin Sidi-Boumédiène ne vient pas non plus de nulle part. Son film s’imprègne aussi du travail de quelques uns de ces confrères un peu plus âgés, à commencer par le défricheur Tariq Teguia qui, avec ses productions métaphoriques (Rome plutôt que vous, Inland, Révolution Zendj), a ouvert de nouvelles voies pour le jeune cinéma algérien. On retrouve notamment dans Abou Leila ce goût pour l’errance et la radicalité formelle : les protagonistes sont embarqués dans un road movie à la trajectoire incertaine, Lofti emmène son compagnon en voyage dans l’espoir de redonner un équilibre à sa raison vacillante mais la confusion mentale de S., qui semble persécuté par la réalité qui l’entoure, ne s’améliore pas. Au contraire elle finit même par contaminer le récit, provoquant des embardées narratives inattendues.
Des éclairs de violence récurrents viennent perturber le spectateur, le confrontant à la folie que la guerre civile a pu provoquer. En convoquant, au milieu du désert, des mythes antiques eux-mêmes empreints de violence, faisant resurgir l’animalité intrinsèque à l’humanité, le réalisateur explore au plus profond l’âme de tout un peuple plongé dans un cauchemar éveillé qui semble sans fin. Sublimement photographié, subtilement interprété, Abou Leila fera date, on en prend le pari.
(A.S., Le Courrier de l’Atlas) « La période de la “décennie noire” est essentielle pour moi et d’autres de ma génération car elle a constitué la toile de fond indépassable de notre jeunesse. Comprendre les fondements de cette période, c’est embrasser les causes profondes de cette violence qu’on a côtoyée de près et qui, de par les traumatismes causés à tout un peuple, nous a contaminés d’une façon ou d’une autre. Abou Leila se base sur des éléments simples : un décor quasi unique mais changeant (le désert), des personnages énigmatiques mais éminemment fragiles, des scènes de rêve traduisant le cheminement inconscient du héros. Mais surtout, malgré son aspect “thriller” et sa violence, le film est empreint d’une mélancolie certaine, visuelle et auditive, rappelant que la violence oublie toujours la beauté qu’elle est sur le point de gâcher. » Amin Sidi-Boumédiène