Le Film du Mois de Septembre 2019 : Ceux qui travaillent

lundi 2 septembre 2019
par  Hervé Thomas
popularité : 8%

Le film du mois de septembre est une oeuvre magnifique du réalisateur Antoine Russbach : il s’agit de "Ceux qui Travaillent" qui bien que ne sortant que le 25 septembre prochain, est déjà visible en avant-première depuis le mois d’août dernier dans certains cinémas. C’est un film qui vous dynamisera alors que les poncifs voudraient qu’après cette période de vacances vos méninges soient en rade, trop nazes pour ingurgiter autre chose que du divertissement léger et vide. Un film qui en plus d’être une magnifique réussite, explore ce qu’il y a de plus profond dans la nature humaine et interroge finement l’impact de nos choix collectifs autant qu’individuels sur l’évolution du monde.

Genre : Drame – Durée : 102 minutes - Réalisateur : Antoine Russbach

Synopsis : Cadre supérieur dans une grande compagnie de fret maritime, Frank consacre sa vie au travail. Alors qu’il doit faire face à une situation de crise à bord d’un cargo, Frank, prend - seul et dans l’urgence - une décision qui lui coûte son poste. Profondément ébranlé, trahi par un système auquel il a tout donné, le voilà contraint de remettre toute sa vie en question.

Bande Annonce : http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19584393&cfilm=266777.html

Tentative de critique :

Comment se peut-il qu’un jeune réalisateur puisse du premier coup pondre une telle œuvre, qui laisse pantois tant sa pertinence nous claque à la gueule ? Pauvres de nous… quel monstre broyeur d’humanité avons-nous donc construit sans que personne ne s’insurge ? Sans que personne au sommet des tribunes du pouvoir ne se lève pour hurler d’arrêter tout ! Antoine Russbach réussit dans son premier long métrage à dire avec une force saisissante l’essentiel de ce qui nous tourmente et questionne la société toute entière : que sommes-nous devenus pour nous faire les complices de ce qui nous écrase et menace en nous ce qu’il reste d’humanité ? Comment se peut-il qu’ayant désormais à disposition autant de moyens de voir, de savoir, de comprendre, nous soyons devenus à ce point aveugles et sourds à ce qui se joue dans les coulisses de la consommation de masse, d’un commerce mondialisé ? Serions-nous devenus indifférents et impuissants à force d’individualisme ?

Frank est cadre supérieur dans une grande compagnie de fret maritime. Chef d’orchestre d’un ballet de cargos énormes qui trimbalent d’un continent à l’autre toutes sortes de denrées plus ou moins rapidement périssables. Il définit les routes des navires qui ne sont pour lui qu’une abstraction concrétisée par des chiffres et des petits points qui se baladent sur un écran d’ordinateur… tandis que les individus disparaissent dans les statistiques, petites choses anonymes perdues dans un océan invisible et lointain dont on ne saurait percevoir, depuis ce bureau ultra-moderne, ni l’odeur des embruns, ni le ressac d’une humanité en souffrance.
Il est bosseur Frank, il a le sens des responsabilités, une famille, cinq beaux enfants élevés au cordeau, qu’il n’a guère le temps de voir, mais qui ne manquent de rien et surtout pas du dernier smartphone que les copains lorgnent avec envie. Il assume son rôle de père, de mari avec la même conscience que le reste… sans se demander jamais si cette vie-là le rend vraiment heureux.
Ce jour-là justement, il doit quitter à la hâte son bureau pour récupérer sa fille à la demande de l’école : un bobo, un mal au ventre, une envie de câlins ? Au moment même où un capitaine de cargo le sollicite dans une situation de crise : un clandestin se trouve à bord, malade, peut-être contagieux, l’équipage est inquiet…
Accroché à son portable, Frank hésite : quelle ordre donner ? Faire demi-tour et ramener le malade au premier port qui le prendra en charge, au risque de perdre la cargaison ? Aller au bout, braver la peur des marins, risquer le contrôle, une amende, voire pire ?
Frank tranchera sous la pression et son choix, terrible, lui coûtera son poste… Trahi par un système à qui il pense avoir tout donné et qui, hypocritement, le lâche, alors même qu’il s’inscrivait parfaitement dans sa logique, en cohérence avec les objectifs fixés, caution parfaite d’un système où il avait sa part, ni pire ni meilleur que n’importe quel autre. Et voilà que cette décision, prise en toute conscience, renvoie les autres à la mécanique infernale qu’ils ont construite et dont ils refusent de payer le prix : Frank sera le fusible qui saute.

C’est d’une maîtrise confondante et Olivier Gourmet porte le personnage avec une intensité qui ne laisse rien passer : où finit la responsabilité de la société qu’on a tous contribué à créer, où commence la nôtre ? Suffit-il de jouer dans les marges pour être exempt de cette co-responsabilité ? Que sommes-nous prêts à accepter pour ne rien perdre de notre confort ?

D’origines suisse et sud-africaine, Antoine Russbach nait et vit à Genève jusqu’à ses 20 ans. Il suit des études de réalisation et scénario en Belgique à l’IAD (Institut des Arts de Diffusion de Louvain-La-Neuve). En 2008, il coréalise « Michel » avec Emmanuel Marre. Le film fait l’objet de nombreuses sélections et récompenses en festival, notamment à Téhéran, Angers, Bruxelles et Paris. En 2009, il réalise « Les Bons Garçons », son film de fin d’études, en compétition à Angers et en compétition internationale à Clermont-Ferrand. « Ceux qui travaillent » est son premier long métrage.


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