Le Système McDonald’s

mercredi 24 octobre 2018
par  Hervé Thomas
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Le Système McDonald’s

Les salarié.e.s de McDonald’s manifestaient mardi 23 octobre dans les Yvelines, entre Saint-Quentin et Guyancourt jusqu’au siège de McDo France. Ils réclament de meilleures conditions de travail, les respect des libertés syndicales, une augmentation des salaires, la fin du temps partiel imposé mais aussi l’arrêt de l’évasion fiscale pratiquée par la marque. À Marseille la justice, saisie par les salarié.e.s qui dénoncent un plan social déguisé, doit se prononcer le 29 novembre sur la validité du projet de cession de six restaurants franchisés. Cinq des restaurants sont déjà passés sous la direction d’un nouveau franchisé. Quant à celui de Saint-Barthélémy (77 salariés), son sort est encore en suspens. Attac Marseille soutient depuis le début la lutte de les salarié.es pour leurs droits et pour leurs emplois.

Qui sait que la multinationale McDo avec ses 37 241 restaurants gagne bien plus d’argent grâce aux loyers qu’elle encaisse que de la vente de la nourriture qu’elle propose ?

Pour la première fois, McDo tirera en 2018 plus de chiffre d’affaires de ses rentes immobilières que de ses sandwichs. Cette financiarisation du groupe permet toujours plus d’évasion fiscale et a de lourdes conséquences sur les salariés. L’évolution du modèle économique de McDonald’s s’est accélérée ces dernières années avec comme maître mot la recherche de toujours plus de rentabilité.

Alors comment fonctionne le système McDo ?

De façon tout à fait légale, le groupe achète des terrains constructibles, y bâtit des restaurants qu’il propose en location-gérance à ce qu’on appelle des franchisés. Les franchisés reversent en moyenne 20 % de leur chiffre d’affaires à la maison mère, auquel il faut ajouter 5 % de droit d’utilisation des logos, publicités, noms de sandwich et autres, au titre de la propriété intellectuelle. Ces rentes rapportent près de 9 milliards d’euros par an à McDo, quasiment sans frais. Alors que le groupe gagne « seulement » un peu plus de 2 milliards d’euros sur la vente de hamburgers, si on en enlève les « coûts opérationnels », salaires en tête, on comprend mieux pourquoi la multinationale ne possède plus qu’à peine 10 % des restaurants en propre. Et il entend encore en passer la moitié en location-gérance. L’avantage pour McDonald’s est que ce modèle économique est facilement extensible à l’international et que le groupe détient une rente immobilière quasiment à vie sur ses franchisés puisque les contrats de location sont en général de vingt ans. C’est ainsi que si le chiffre d’affaires de la multinationale baisse d’année en année, à force de tout franchiser, les revenus, eux, augmentent. Depuis bientôt deux ans que cette stratégie s’est accélérée, l’augmentation des bénéfices se calcule à deux chiffres chaque trimestre et les dividendes explosent : 6,8 milliards d’euros ont ainsi été distribués en 2017 aux actionnaires. À l’inverse, le nombre de salariés employés directement par la multinationale a chuté de près de la moitié en six ans pour s’établir à 235 000. La faute au passage des restaurants en location-gérance. En comptant ces franchises, le nombre de travailleurs reste à peu près stable, autour de 2 millions.

Selon les dernières recherches de ReAct*, le réseau d’appui à l’organisation des travailleurs.ses, la multinationale a réalisé en 2017 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France, deuxième marché plus profitable derrière les États-Unis. Elle y gagne entre 700 et 800 millions d’euros de bénéfices répartis ainsi : 210 millions pour les franchisés, 275 autres millions pour la filiale France et entre 300 et 400 millions pour la maison mère. La franchise est le cœur du modèle McDo. C‘est ce qui fait que la multinationale est devenue avant tout une société immobilière.

Le montant des loyers réglés à la maison mère permet de transformer des bénéfices en coût et donc de ne pas payer d’impôts ni de participation aux salariés.

En effet, chaque McDo franchisé verse en moyenne à la maison mère aux USA :

  • une redevance d’environ 25 % de son CA. La redevance comprend une part fixe de 5 % du CA pour le droit d’utilisation de la marque et une part variable en fonction du CA pour la location du terrain au propriétaire McDonald’s. D’où le fait que les salariés ne touchent jamais la prime de participation aux bénéfices et que McDo n’a aucun impôt sur les bénéfices à payer en France métropolitaine
  • les franchises McDo bénéficient en plus du CICE, d’une baisse du taux de TVA et du dispositif contrats aidés.

En amputant ainsi le chiffre d’affaire par le biais de ce loyer déguisé mais légal, et les mesures d’accompagnement qui vont avec, les bénéfices se transforment en coûts.
Ce montage fiscal n’impacte pas seulement les recettes de l’État, mais aussi les revenus des salariés : car en impactant le résultat net de chaque société, ces frais de redevances ont pour effet de minorer l’éventuelle prime de participation due à chaque salarié.
Un autre constat est celui de l’évitement des seuils sociaux, via les restaurants franchisés. Bien que McDonald’s emploie 73 000 personnes en France, c’est le droit social des petites entreprises qui s’applique dans la majorité des restaurants franchisés : ce qui leur permet de ne pas avoir à verser de prime de participation aux salariés (ni de mettre en place un comité d’entreprise). ReAct a calculé qu’au moins 41 millions d’euros d’intéressement aux bénéfices échappent ainsi aux salariés français, soit un peu plus d’un 13ème mois chacun. Voilà pourquoi la dénonciation du système des franchises est au cœur des revendications du moment des salariés de McDo France.

* https://www.projet-react.org/fr/

La rentabilité record de McDonald’s tient aussi dans sa grande capacité à l’évitement fiscal

À tel point que l’Union européenne s’en était fortement agacée en 2015 et avait lancé une enquête sur ses filiales au Luxembourg. L’administration fiscale française a, elle, enclenché une procédure de redressement fiscal estimé à 300 millions d’euros pour les années 2009-2015. Jusqu’il y a deux ans, la stratégie du groupe était assez simple. Tous les revenus partaient dans des filiales thématisées (loyers, franchises, propriété intellectuelle…) installées dans le grand-duché. Chacune était propriété de la maison mère au Delaware. La multinationale ne payait rien sur ses bénéfices car, au Luxembourg, on ne faisait pas payer d’impôt sur les filiales, estimant que l’entreprise en paierait aux États-Unis (selon la « convention relative à la double imposition ») et qu’au Delaware la législation locale ne taxe pas les filiales étrangères. Le taux d’imposition total de McDonald’s était ainsi tombé à 0,7 % en 2015. À partir de 2015, McDo s’est adapté en devançant la législation, en changeant et complexifiant ses schémas d’évasion pour recréer de l’opacité. Le groupe a ainsi complètement modifié sa structure, ce que montre le rapport de la coalition de syndicats Epsu, Effat et SEIU paru le 14 mai 2018. McDonald’s s’est déplacé en Grande-Bretagne, profitant du Brexit, de la baisse de l’impôt sur les sociétés (de 28 à 17 %), et liquidé ses filiales luxembourgeoises, celles sur lesquelles la Commission européenne enquêtait depuis plus de deux ans… Et ce n’est pas un hasard s’ils se sont tournés vers le Royaume-Uni, puisque grâce au Brexit, Bruxelles ne pourra plus lancer d’enquête contre eux. Le nouveau montage fiscal apparaît désormais plus complexe, même si le point d’arrivée est le même : le Delaware, ce petit État américain qui compte plus de sociétés que d’habitants. Ce paradis fiscal bénéficie en plus de la réforme fiscale de Trump, qui poursuit la course à la baisse des taux d’imposition. Le secret qui y est entretenu permet de maintenir l’opacité totale sur les architectures fiscales complexes et de dissimuler des activités. Depuis le Delaware, une part des transactions financières, emprunts intergroupes et investissements, passe par les Pays-Bas et Singapour. Des filiales aux îles Caïmans, aux Bermudes et à Guernesey ont aussi été ouvertes sans qu’on en connaisse réellement l’activité. Une partie des propriétés foncières du groupe est également détenue par une filiale à Hong Kong. La stratégie de la multinationale est de choisir à un instant T le montage le plus optimal, puisque les paradis fiscaux se font concurrence entre eux. C’est pourquoi Attac se bat notamment pour une transparence fiscale totale de tous les pays dans lesquels elle opère.

Le cas McDo montre bien qu’on ne peut plus chercher à régler l’évasion fiscale par de petites mesures locales. Il faut le faire au niveau mondial par exemple à l’échelle de l’ONU, mais aussi déjà de l’Union européenne, sans quoi les multinationales vont finir par ne plus contribuer à l’impôt du tout. 

McDonald’s est le symbole de la mondialisation financière, mais au-delà des droits légitimes et nécessaires des salarié.e.s du groupe, c’est aussi le symbole de la malbouffe.

Malbouffe

Avec plus de 37 000 restaurants dans le monde, McDonald’s est la plus grande chaîne de fast food au monde et vend 900 millions de Big Mac chaque année.
Avec la malbouffe c’est aussi une politique de prix cassés, des troubles de la santé sur la durée, une idéologie vantant un consumérisme extrême, un impact négatif sur l’environnement. Les petits restaurants, boulangeries et épiceries du coin, partout dans le monde, souffrent de l’arrivée dans leur quartier d’un de ces fast-food à la tête de clown.
Certains n’ont pas hésité à manifester leur aversion en protestant contre l’implantation de restaurants. En 1999 par exemple, des manifestants de la Confédération Paysanne ont saccagé un restaurant à Millau pour manifester contre des taxes douanières américaines envers des produits français comme le Roquefort et le foie gras. À la tête du mouvement, José Bové, alors responsable de la Confédération paysanne scandait au micro : "Si on attaque aujourd’hui un McDo, c’est parce que McDo est le symbole de ces multinationales qui veulent nous faire bouffer de la merde et qui veulent faire crever les paysans."
Sur l’Île d’Oléron, le maire de Dolus, Grégory Gendre, lutte depuis plus de trois ans contre l’implantation d’un restaurant sur son territoire. Au cœur de son désaccord, un combat contre la malbouffe. Il considère que le modèle économique de l’enseigne américaine n’est pas compatible "avec le programme zéro déchet, avec l’agriculture durable, avec le territoire TEPOS… [Territoire à Énergie Positive]" et préfère "conforter des filières agricoles sur des emplois durables." Fin septembre, la justice s’est prononcée en faveur d’un permis de construire pour l’enseigne américaine.
Même type de combat en 2016, cette fois-ci dans la ville de Florence en Italie. Les habitants se sont mobilisés contre l’ouverture d’un McDo sur la "Piazza del Duomo", classée au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Jugé contraire à l’identité de la ville par les Florentins, le projet a finalement été interdit par le maire de la commune.
Même aux États-Unis, McDo a ses détracteurs. Le chef Jamie Olivier a mené pendant plusieurs années le combat contre le "pink lime", une pratique qui consiste à "laver" la viande grasse en utilisant de l’hydroxyde d’ammonium. Il n’a cessé de dénoncer ce procédé dans des documentaires et émissions de télévision en expliquant comment les hamburgers McDo étaient fabriqués : "On prend un produit qui pourrait être vendu, sous sa forme la moins chère, aux chiens. Et après cette technique, on peut la donner aux humains." Mais depuis 2013, McDo a arrêté d’utiliser ce produit.
Sur le site interne de la chaîne de restauration, on peut lire, je cite : . "Les fast foods sont des alternatives faciles et rapides à la cuisine fait maison. Ils correspondant bien à nos modes de vie débordés, mais ils sont presque toujours très caloriques, très gras, très sucrés et très salés". Un site qui ne s’adresse pas aux clients mais aux employés.
La France est le deuxième plus grand marché du groupe à l’échelle mondiale. Trente ans après l’ouverture de son premier restaurant en septembre 1979 à Strasbourg, McDonald’s compte aujourd’hui près de 1 200 franchises sur le territoire. A noter que la densité de McDo est plus forte en France qu’aux USA (1,77 restaurant pour 1 000 km2 en France, contre 1,3 aux États-Unis), c’est dire l’enjeu financier que représente la France pour la multinationale. Seule exception : la Corse, où l’enseigne n’a pas encore ouvert de restaurant, officiellement en raison de difficultés logistiques.
McDo fait preuve à l’égard du marché français d’une remarquable adaptabilité en intégrant l’attente des citoyens vis à vis de l’environnement : il lance le menu salade dès 2004, suivront les fruits frais, les eaux minérales, et l’affichage du nombre de calories par menu, même si la vente des salades ne représentent que 10 % des ventes et le Big Mac le produit le plus vendu. Pour soutenir ses nouveaux produits, le groupe mise sur la communication publicitaire. Les investissements en marketing médias sur la santé représentent 30% des investissements de communication. McDonald’s consacre 37 millions d’euros par an pour communiquer uniquement sur la santé sur un budget publicitaire de 148 millions d’euros. McDo France joue la carte des filières locales en contractualisant une partie de ses approvisionnements auprès d’agriculteurs français : la moitié du bœuf, mais aussi les farines, le poulet, les pommes de terre, la salade, soit au total 70 % de ses approvisionnements..et il en fait un argument de vente et de qualité des produits. McDo France va même jusqu’à publier un journal intitulé « le journal du développement durable » où il manifeste notamment sa volonté de recycler et valoriser l’ensemble des déchets issus de la restauration. Depuis septembre dernier, McDo France teste dans certains de ses restaurants le passage des pailles plastiques aux pailles papier dont la consommation quotidienne est de 8,8 millions de pailles.

À écouter :

À voir aussi :

  • Super Size Me réalisé par Morgan Spurlock.
  • Fast Food Nation réalisé par Richard Linklater et Éric Schlosser.

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