37°9 le Matin
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37°9 le Matin
Ce matin un peu fébrile, le thermomètre affiche presque 38 degrés : est-ce que je l’aurais attrapé moi aussi, ce truc dont on nous rebat les oreilles depuis des mois maintenant ? Après tout, on nous dit qu’il y en a des dizaines de milliers et probablement bien plus encore, alors pourquoi pas moi, il faut bien partager tout de même ?
On se prend tout de suite à imaginer le pire, une toux que l’on guette, un gratouillis de gorge comme un signe de l’inexorable en marche, une respiration qu’on n’arrive pas à reprendre. On se demande si ses affaires sont en ordre, s’il faut en parler à ses enfants, s’il faut appeler oui mais qui, et pourquoi déranger si c’est autre chose ou alors pas grand chose, si on a un slip propre et des chaussettes sans trou au cas où ton numéro à la roulette tombe aujourd’hui sur le 15 ? On s’imagine intubé avec un de ces respirateurs dans un lit de hasard, cherchant de l’air pollué ou pas mais de l’air, ou alors tiré à la courte paille sur l’autel des sacrifices parce qu’il faut bien choisir et qu’on ne gagne pas toujours.
Jusqu’ici tout va bien, alors en guise de viatique ce poème de Boris Vian qui dit mieux que tout qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire ou toujours trop tôt pour partir.
Je voudrais pas crever
Avant d’avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d’argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un coté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un regard d’égout
Sans avoir mis mon zobe
Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu’on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me feraient de peine
Si si si je savais
Que j’en aurai l’étrenne
Et il y a z aussi
Tout ce que je connais
Tout ce que j’apprécie
Que je sais qui me plaît
Le fond vert de la mer
Où valsent les brins d’algues
Sur le sable ondulé
L’herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L’odeur des conifères
Et les baisers de celle
Que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, l’Ursula
Je voudrais pas crever
Avant d’avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J’en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir
Sans qu’on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
Tous les enfants contents
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir
Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s’amène
Avec sa gueule moche
Et qui m’ouvre ses bras
De grenouille bancroche
Je voudrais pas crever
Non monsieur non madame
Avant d’avoir tâté
Le gout qui me tourmente
Le gout qu’est le plus fort
Je voudrais pas crever
Avant d’avoir gouté
La saveur de la mort...
Hervé Thomas