Jour 12 du dehors

mercredi 29 avril 2020
par  Hervé Thomas
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Jour 12 du dehors

Amis de Marseille, je n’osais plus vous écrire car j’avais l’impression d’avoir fui, et les décrets me confinaient dans une culpabilité qui participait de ma honte.

Mais aujourd’hui, je sais que je n’ai pas fui. J’ai atterri, j’en prends conscience en lisant, encore, Bruno Latour (Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise, AOC media).

Oui, j’ai fui Marseille à l’annonce du second mois de confinement. Amis marseillais, vous le savez, je n’aurais pas tenu. Un mois en appartement, moi qui suis fille de sentiers et de cavales, c’était déjà trop.

J’ai donc organisé une évasion en wwoofing, un passage illégal en zone libre, et j’ai atterri dans les Cévennes, chez un jeune permaculteur, à l’abri des pentes d’une forêt de châtaigners, sur les terrasses dont les murs de soutènement sont notre dette à des générations de courageux cévenols. Chez un jeune qui conserve une terre et des sols d’une épaisseur rassurante et d’un moelleux dont vont se régaler les racines, pour cultiver déjà salades, épinards et oignons, et bientôt tomates, blettes, patates, courges et courgettes.

Me voici donc à terre depuis deux semaines. Mais si droite, si fière de mes fatigues. Car la terre est basse, l’espace doit se disputer à l’herbe et la ronce, le binage et le buttage doivent s’accommoder de la rencontre de quelques couleuvres ou vipères. Le quotidien de la vie se négocie avec des toilettes sèches à l’extérieur, le soleil qui cogne et attise les nuées d’insectes, la pluie qui mouille vraiment, et l’eau de la source qu’il faut chauffer sur le poêle à bois pour une douche au broc.

Donc oui, j’ai atterri, et je n’ai pas à rougir de ma fuite. Je revendique presque d’avancer de ce pas vers le monde d’après. Ou l’un des mondes d’après. Car il paraît que pour la réouverture des Mac Do, certains ont fait des heures de queue ! Entendu d’ici, entre les chants de mésanges, le vol du couple de faucons et la portée de 5 chatons du printemps, ça paraît irréel. Comme doit paraître irréelle à d’autres l’idée de recréer de vrais emplois dans une agriculture de qualité. L’idée de remuscler des bras à restaurer les murets de schiste des terrasses centenaires qui s’écroulent loin de la compassion de Bernard Arnaud. L’idée de passer les heures de pluie à trier les châtaignes pour faire la farine. Parce que ceux-là ne savent pas combien sont bonnes les crêpes à la farine de châtaignes !

Donc, amis de Marseille, je reviens vous dire que d’autres mondes existent au-dehors. Qu’ils existent depuis des années déjà, par succession de générations de joyeux alternatifs. Et que je vous écrirai de là-bas. D’ici. De tout près.

Marie Louvie.


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