La Calanque à Malmousque
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La calanque à Malmousque
Voila cinq jours que je n’ai pu contempler l’horizon de la Méditerranée, et même en montant sur le toit de mon immeuble, impossible d’en apercevoir la couleur. Ce matin tant pis, il fait si beau que je sors mon vélo et décide de braver tous les interdits pour me réfugier rien qu’un moment dans ma petite calanque. D’autant plus que les piscines municipales, déjà fermées habituellement à Marseille un jour sur deux grâce à la bonne gestion de notre maire, risquent cette fois de l’être jusqu’à l’an pèbre. Après tout, le spectacle de la mer et la promesse d’un bain valent bien 135 euros. Le site de Météo France indique une température de l’eau de 17 degrés, assez voisine de celle de la Bretagne en plein été, et un vent modéré à 6 km/h. Direction Malmousque dans une ville où il fait bon rouler et respirer, et que même René Dumont n’aurait jamais pu imaginer dans ses rêves les plus fous.
Pédaler jusqu’à la Plaine par la piste cyclable de la rue Thiers, descendre vers la préfecture, emprunter le cours Pierre Puget jusqu’au jardin de la Colonne, rejoindre le boulevard de la Corse et s’arrêter un instant avant de tourner rue d’Endoume pour se remplir du parfum des navettes et de la fleur d’oranger. La rue d’Endoume n’en finit pas de monter mais tout au bout la récompense est là et elle apparaît dans toute sa majesté : la Méditerranée. Ne plus attendre : traverser en toute hâte la corniche Kennedy et entrer dans Malmousque.
Il est temps de mettre pied à terre, les Bains des soldats sont fermés, mais pas l’accès au-dessous de la résidence des légionnaires. Ma calanque est là, intacte, et c’est comme si déjà en une semaine la nature avait repris ses droits : des iris en fleur, des genêts au jaune éclatant, le rose tendre des valérianes, et aussi puis plein d’oiseaux de terre et de mer, justement des cormorans s’ébrouent et font sécher leurs ailes au soleil, les premiers lézards qui se dorent au soleil. Et pour la 1ère fois de ma longue vie de marseillais, j’entends un rossignol, je ne savais pas qu’il pouvait y en avoir ici et pourtant c’est bien un rossignol …
Je descends par l’escalier métallique jusqu’à ma calanque de poche en espérant y trouver une sirène qui aurait eu le même désir que moi, mais que nenni il y a dégun, exit la jolie dolly ou la Gyptis déconfinée qui aiguisait mes sens.
Il faut dix minutes pour aller à la nage jusqu’à l’île de Daume et de là, on peut contempler la ville à ses pieds, on peut s’imaginer un temps en Protis. Aujourd’hui, à quoi bon garder son maillot ? Sentir seulement la caresse de l’eau sur son corps, le frôlement d’un poulpe ou d’un ban de poissons. Pas question de prendre une douche en rentrant : garder sur soi le goût du sel le plus longtemps possible et pouvoir de temps en temps d’un coup de langue sur l’épaule en goûter la saveur. Au retour je m’arrêterai boire un café au bar de la Grande Terrasse, et je me prendrai un morceau de leur gâteau au chocolat en parcourant La Provence, et en écoutant les conversations des habitués, corses comme le patron.
Venant troubler cette escapade marine, une cloche sonne et n’en finit pas de sonner, pas tout à fait le glas, mais suffisamment puissante pour remplir tout l’espace et m’éveiller en sursaut : nous sommes le samedi 21 mars au 5ème jour du confinement, je suis dans mon lit et j’ai oublié de désactiver mon réveil.
Hervé Thomas.