La Nuit du Doute
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La Nuit du Doute
La nuit du doute - ة الشك - est, au sens large dans le calendrier musulman, celle qui désigne la 29e et dernière nuit du mois de Cha’bân ; cette nuit-là, si le croissant de la lune est visible, le mois de Ramadan débute le lendemain matin et ce lendemain, c’est précisément aujourd’hui vendredi 24 avril.
Pour moi qui revendique un athéisme façon Prévert (A comme absolument athée - T comme totalement athée - H comme hermétiquement athée - É accent aigu comme étonnamment athée - E comme entièrement athée), le Ramadan fait exception tout comme l’Aïd et certaines fêtes juives, sans doute une façon de perpétuer mon attachement viscéral à mes origines, un pied à Alger de retour d’Al Andalus, et un autre à Marseille, de chaque côté de la Mare Nostrum.
Mais confinement oblige, et une aubaine pour le pouvoir en place qui en profite pour passer à la trappe le Hirak et mettre en taule les opposants, Ramadan se fera cette année à Alger sous le régime du couvre-feu comme au bon vieux temps des Français de la colonie ou celui des Barbus de la décennie noire.
Pas de douces soirées et de f’tour où on rompt le jeûne avec le verre de l’ben et les dattes pour la douceur, pas d’enfants qui jouent au foot dans les rues pendant que les plus anciens se réchauffent le cœur au son du chaâbi. Place des Martyrs, le muezzin appellera en vain les fidèles, seul du haut du minaret de la mosquée Ketchaoua verrouillée.
Ce matin en errant dans un Noailles déserté, il y a comme un manque et j’ai la nostalgie d’Alger, de ses terrasses où on refait le monde avec les amis un verre de thé à la main, et de l’accent algérois à nul autre pareil.
Je vous laisse avec une rêverie d’Albert Camus tirée de son Petit Guide pour les Villes sans Passé, un guide qui n’a rien à voir à celui plus confiné – plus constipé - plus convenu de celui du Routard qui n’en a plus que le nom depuis des nuits sans lune, sans aucun doute.
« Après tout, la meilleure façon de parler de ce qu’on aime est d’en parler légèrement. En ce qui concerne l’Algérie, j’ai toujours peur d’appuyer sur cette corde intérieure qui lui correspond en moi et dont je connais le chant aveugle et grave. Mais je puis bien dire au moins, qu’elle est ma vraie patrie et qu’en n’importe quel lieu du monde, je reconnais ses fils et mes frères à ce rire d’amitié qui me prend devant eux. Ce que j’aime dans les villes algériennes ne se sépare pas des hommes qui les peuplent. Voilà pourquoi je préfère m’y trouver à cette heure du soir où les bureaux et les maisons déversent dans les rues, encore obscures, une foule jacassante qui finit par couler jusqu’aux boulevards devant la mer et commence à s’y taire, à mesure que vient la nuit et que les lumières du ciel, les phares de la baie et les lampes de la ville se rejoignent peu à peu dans la même palpitation indistincte. Tout un peuple se recueille ainsi au bord de l’eau, mille solitudes jaillissent de la foule. Alors commencent les grandes nuits d’Afrique, l’exil royal, l’exaltation désespérée qui attend le voyageur solitaire... Non, décidément, n’allez pas là-bas si vous sentez le cœur tiède, et si votre âme est une bête pauvre ! Mais, pour ceux qui connaissent les déchirements du oui et du non, de midi et des minuits, de la révolte et de l’amour, pour ceux enfin qui aiment les bûchers devant la mer, il y a, là-bas, une flamme qui les attend. »
Ramadan Moubarak, tout de même.
Hervé Thomas.
Sur ce lien, une chanson du crooner judéo algérois Lili Boniche dans Alger Alger :