LATCHO DROM
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LATCHO DROM
Comment le crochet et le caddie ont remplacé la faucille et le marteau ?
.Ce qui frappe à Marseille, en dehors de la police, c’est la pauvreté au grand jour qui touche aussi bien les jeunes que les vieux, les femmes que les hommes, celle qu’on croise partout devant les magasins, aux feux rouges, autour des soupes de fortune. Des gens hagards dans des cartons, des vieux duvets, qui attendent parce qu’il n’y a rien d’autre à faire sous le regard fuyant des passants.
Pour moi dont la grand-mère du côté de mon père, née à Pitesti en Roumanie et qui a trouvé refuge en France au début du XXe siècle, fuyant les pogroms, c’est la misère des Roms qui m’apparait le plus. Au pied de mon immeuble il y a deux conteneurs à ordures et tous les matins qu’il y ait confinement ou pas, le même homme apparait avec un caddie et une tige de fer terminée en crochet. Il ouvre les conteneurs et farfouille avec son crochet dans les sacs poubelles en extrayant ce que nous nous avons jeté et qui pour lui va peut-être lui permettre de survivre encore un peu. Il est jeune et de quelle contrée encore plus inhospitalière de Roumanie peut-il bien venir pour trouver encore préférable cette vie d’errance et de misère ? Parfois, j’aimerais lui parler, lui dire de venir à la maison prendre une petite douche, boire un coup, se reposer et faire la conversation mais je n’ose pas. Et puis c’est bien plus confortable de signer des pétitions et d’aller manifester devant le centre de rétention en restant du bon côté des grilles. Cet homme rejoint un groupe de femmes en jupons multicolores qui arpentent inlassablement les rues et auxquels sont accrochés une ribambelle de gamins. Que pensent-ils de ce coronavirus qui paralyse de peur la vieille Europe et dont ils semblent se préoccuper comme de leur première chemise, si tant est qu’ils en aient jamais eu une ? Est-ce qu’ils remplissent aussi leur attestation de déplacement, eux dont les cousins français devaient encore il y a peu présenter aux gendarmes leur livret de circulation pour pouvoir e déplacer à l’intérieur de leur propre pays. Et puis en arpentant les quartiers, je me rends compte qu’il y a une multitude d’autres femmes et d’autres hommes comme eux avec des caddies et des crochets qui font la même chose dans tous les conteneurs de la ville de Marseille.
Où vont-ils après avec leurs caddies ? À quoi pensent-ils ? Est-ce qu’ils rêvent d’un autre monde possible ? Sur le cours Joseph Thierry dans une Marseille désertée, un vieil homme surgi tout droit d’un village des Balkans donne des couleurs au quartier en jouant sur un accordéon rouge une version lointaine de la valse n°2 de Chostakovitch.
Hervé Thomas.