Le Coiffeur de Picasso
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Le Coiffeur de Picasso
À quoi rêvent les coiffeurs depuis le 17 mars, date couperet à partir de laquelle les cheveux ont commencé à se dresser sur les têtes et les politiciens ont continué à raser gratis ? Par quel fil du rasoir se transmettent désormais les potins de la rue et que deviennent les revues populaires aux pages discrètement arrachées en attendant son tour ?
Le coiffeur de Picasso s’appelait Eugenio Arias, natif d’un village de la Sierra Norte de Madrid du nom de Buitrago de Lozoya, combattant républicain et exilé politique tout comme Picasso après l’arrivée de Franco au pouvoir. Ils s’étaient rencontrés à Toulouse en 1947 lors d’un gala antifasciste, présentés l’un à l’autre par Dolores Ibárruri, puis s’étaient retrouvés à Vallauris, l’un en tant que coiffeur, et l’autre déjà mondialement connu venu là pour travailler la céramique.
De cette rencontre naquit une amitié indéfectible qui ne se démentit jamais, faite de valeurs et d’idées partagées, de la douleur commune de l’exil, de l’amour de cette Espagne perdue, Arias refusant tout paiement en échange de ses services, et Picasso tenant à le dédommager sous forme de peintures, dessins, sculptures.
Picasso qui était superstitieux et craignait en venant dans son salon que d’autres clients ne s’empare de ses cheveux et ne lui vole sa force, avait fini par lui demander de venir lui couper les cheveux à sa maison et lui avait offert une Dauphine pour cela.
Leur amitié aura duré vingt-six ans pendant lesquels ils ne se sont jamais éloignés, jouant aux cartes, parlant politique, courant les bars, allant aux toros, mais Picasso n’a jamais pu revenir en Espagne, le tyran est mort après lui dans son lit, et Eugenio aurait pu vendre les œuvres en sa possession et mener une vie de nabab, mais fidèle jusqu’au bout à son ami Picasso, a préféré tout léguer à la communauté de Madrid qui en a fait un musée à Buitrago de Lozoya. Eugenio Arias disait que c’était le seul musée qui alliait à la fois l’art et l’amitié.
Je n’ai pas connu le coiffeur de Picasso, mais j’ai connu son fils Louis, qu’on appelait Loulou, libraire chez Actes Sud à Arles, un vrai libraire qui connaissait ses auteurs et savait conseiller le lecteur, un type à la peau brune et au mégot au coin des lèvres, le gars taciturne qui envoyait balader les clients dont la tête ne lui revenait pas et il y en avait beaucoup.
C’est par Loulou que j’ai connu l’histoire du coiffeur de Picasso, son père, en l’honneur de qui il avait organisé une petite exposition à Arles.
Loulou est mort un matin de mars 2007 en traversant le Rhône sur le pont de Trinquetaille, mort un an avant son père qui ne l’a jamais su, son esprit étant parti vagabonder ailleurs depuis longtemps.
De ce jour, je savais que je viendrai à Buitrago, un peu pour Picasso, beaucoup pour Loulou dont l’histoire et ses méandres tels ceux du Lozoya qui caressent langoureusement le village, au cœur de cette sierra de Guadarrama qui me fascine tant, m’avaient particulièrement touché.
« Nada tiene mas valor en el mundo que lo que no se puede comprar, el respeto, la amistad, la confianza y la fidelidad. La amistad de la que aquí se habla, y la obras de arte que Pablo Picasso me regaló en amistosa compenetración tienen una raiz común : el amor a España. Eso fue lo que nos unio a Picasso y a mi. » Eugenio Arias.
Hervé Thomas.