Le Corbeau
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Le Corbeau
Vous l’aurez peut-être vu, les animaux profitent du confinement pour réinvestir les zones habitées. Il y va du corbeau comme des autres.
Les forces de police et de gendarmerie ont pu le constater tant ils craillent, croassent, graillent !
Ils appellent les services d’urgence au point que dans certaines grandes villes, 70%[1] des appels proviennent des corbeaux. Mais qu’expriment-ils ?
Ils dénoncent ! Pas la gestion pour le moins hasardeuse voire calamiteuse de la crise par nos « élites », pas l’absence de masques, pas l’organisation aléatoire du déconfinement, pas la destruction des services publics en général et de l’hôpital en particulier, pas l’injustice galopante…
Rien de tout cela, non, non, non.
Ils dénoncent leurs voisins ! Ceux qui sortent un peu trop à leur goût, ceux dont le chien a trop souvent envie de pisser, ceux qui abusent de pratiques sportives, ceux dont les gamins jouent dans les rues. En bref, tous ceux qui ne confinent pas comme il faut, en fait comme il le font eux !
Car le corbeau est jaloux, il n’aime pas se sentir seul à respecter les consignes à la lettre, il n’apprécie pas la diversité d’interprétations, il est assuré que tout ce qui ne lui ressemble pas est une menace. Le corbeau aspire au maintien de l’ordre et manie la délation sans retenue, sans gêne, sans remord.
Au plus près de chez moi, un corbeau voisin m’a contacté pour me signaler la présence de banderoles affichant des slogans, assurément subversifs, et m’a demandé d’user de mon autorité de président du conseil syndical de notre résidence (et oui, on n’est pas tout à fait, ou pas encore, des miséreux alors on fait attention à préserver notre standing) pour intimer à ces délinquants de retirer ces affichages sauvages afin d’éviter que la situation perdure et dégénère. Pour paraphraser Michel Audiard, le corbeau dénonce tout, c’est même à cela qu’on le reconnaît. Moi j’aimerais bien que ça dégénère et que les slogans s’affichent nombreux à nos fenêtres, sur nos balcons et nos murs.
J’ai beau être inquiet de l’impact du réchauffement climatique et de ses conséquences sur la biodiversité, je ne suis pas certain que l’extinction de cette famille de corbeaux m’afflige. Je dirais même que sa disparition me réjouirait tant l’histoire a montré le rôle nuisible de ce prédateur qui croasse toujours pour dire du mal d’autrui.
Dans la famille des corbeaux, il y a maintenant le « corobeau » dont le ramage est aussi sombre que son plumage, ce qui ne fait pas de lui le phénix des hôtes de nos cités.
[1] Données émanant du syndicat Alternative Police, dans le Canard Enchaîné du 29/04/2020 in « Balance ton confiné ».
Dominique Satabin.