Le Drapeau noir flotte sur la Marmite

mardi 31 mars 2020
par  Hervé Thomas
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Le Drapeau noir flotte sur la Marmite

Dans ces temps de confinement où les librairies ont fermé boutique et les bibliothèques marseillaises restent closes plus encore qu’à l’accoutumée, la fringale des mots imprimés sur papier nous fait revenir à nos premières amours et nous tourner vers nos étagères aux bouquins entassés au fil du temps, l’occasion de faire la poussière et l’inventaire de ce qu’on a toujours voulu donner mais dont on ne s’est finalement jamais séparé, un peu comme ces tee shirts délavés et troués qui hantent nos armoires et sur lesquels subsistent encore un vengeur « Libérez Angela Davis » ou un « US Go home » désuet.

Dans un coin trônent délaissés, une bonne vingtaine de romans du ci-devant René Fallet, ce fils de cheminot de la banlieue parisienne, un nanar libertaire et buveur autodidacte, celui-la même qui rédigeait le verso des pochettes des disques de Brassens pour en commenter les chansons, pigiste au Canard Enchaîné dans les années cinquante mais auparavant apprenti foudrier à Bercy, pêcheur et cycliste émérite des rives de Seine à Villeneuve Saint-Georges du temps où il y restait du poisson et où les bretelles ne soutenaient que les pantalons à défaut d’autoroutes.

Alors que tous deux jeunes cheminots nous nous croisions régulièrement à Laroche Migennes à l’heure de la manœuvre, c’est mon pote Frédéric qui me glissa un soir, il m’en souvient encore, un livre du bonhomme en m’adjoignant d’y jeter les mirettes. Le titre en était Banlieue Sud-Est et ce fut une découverte, une illumination, peut-être est-ce cela la foi dont nous bassinent les bigots, le fait est que dès lors je n’eus de cesse que de tout lire de ce moustachu au pantalon de velours et à la plume aussi généreuse que le coude qu’il levait avec les copains.

Aujourd’hui c’est décidé, ordonnances ou pas, je reviens au temps de mes vingt ans et vais relire tout Monsieur René Fallet en commençant par Le Drapeau Noir flotte sur la Marmite, parce que la marmite c’est vous et moi en ces temps d’ordonnances, et parce qu’il faudra un jour que ce chiffon noir, étendard des pirates et des doux anarchistes réunis, flotte sur notre monde.

Il faut aussi lire et relire le poème tiré de son recueil Chromatiques, un poème qu’il a dédié à son père, chef de train sur le trajet Montargis Montereau, son père cheminot communiste matraqué et radié de la SNCF pour avoir réclamé ses droits ; je l’ai parcouru sans compter et j’en pleure à chaque fois comme si c’était la première. Si on se sort de tout ça, c’est promis je vous le déclamerai haut et fort dans la rue. Même Jacques Prévert en lisant ce poème écrit par Fallet lors de la mort de son père en disait ceci, c’est dire : « La voie ferrée, la voie lactée, ça fait partie du même réseau. Et c’est pourquoi René Fallet retrouve son père en agitant un petit drapeau. Un drapeau rouge. Rouge d’espoir, rouge de cœur, rouge de tous les sourires du malheur. Et c’est pourquoi ce soir, 16 décembre 1955, nous pouvons boire tous deux un verre de vin de même couleur, en souvenir heureux de Paul Fallet, chef de train, à la santé du rail et des travailleurs. »

Hervé Thomas.


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