Marseille Jour 2 par Marie Louvie
par
popularité : 8%
Marseille, jour 2
Marseille commence à comprendre que c’est peut-être grave. Après l’entre-deux joyeux de dimanche et lundi, Marseille se vide. L’insouciance et les sourires d’hier sont enfermés chacun chez soi.
Ceux qui le pouvaient ont déserté, fui. Vers des lieux plus aérés. Pour ma part, je serai confinée à Marseille Belsunce et je partagerai le sort de millions de citadins, d’habitants de grandes métropoles, de gens d’appartement qui n’ont pas de résidence secondaire. Finalement, j’en ressens une forme de fierté. Et de connivence.
Me voici donc à l’intérieur, reporter de guerre, comme disent les présidents de tous les étages, qui diffusent des concepts pas très légers : gravité, responsabilité, lucidité.
Nous voici privés pour quelques temps de l’esprit de jouissance ! Le président de l’étage d’en haut a emprunté la terminologie, non pas aux anarchistes, mais à Pétain lui-même. Ca n’annonce pas de jours à venir très sereins… surtout pour les gens qui ne sont rien, et à qui restait, parfois, la jouissance du soleil sur un banc ou du bruit des vagues sur une plage publique.
J’espère qu’il y aura un effet rebond, après la Libération : tout un été d’esprit de jouissance à venir. Pour l’été 2020 : tous en camping sauvage, à se balader en forêt, à amener les gamins pique niquer à la campagne, en grandes assemblées rigolardes et paresseuses. Oui, j’espère que ce sera ça, la Libération. Et qu’ils ne nous feront pas le coup : après la crise sanitaire, la crise économique. Au boulot, les masses, il va falloir rattraper la productivité perdue.
Si on est malins, on ne se laissera pas faire. La sécurité sociale a été inventée en 1945, juste après la guerre. Nous devrons inventer, en 2020, ce qui s’expérimente aujourd’hui : le salaire de base peut-être, le salaire de jouissance, qui donne sens ensuite à tout travail, toute tâche que nous mènerions de façon volontaire, partagée, collaborative. Des travaux qui aient un sens. D’utilité collective. Nous avons 35 jours pour l’inventer et avoir, à la Libération, une sacrée envie d’expérimenter un autre sens de la vie.
Marie Louvie