Un Kilomètre à Pied
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Un Kilomètre à Pied
Il y a deux façons de voir la vie mais surtout de la vivre : l’une consiste à la considérer comme une bouteille à moitié vide, et l’autre pour la même quantité, de l’envisager à moité pleine.
Prenons à titre d’illustration l’affaire des sorties en période de confinement (article 3 du décret du 23 mars 2020).
Dame, rendez-vous compte, un rayon d’un kilomètre autour de son domicile, d’aucun vous diront que c’est une atteinte intolérable aux libertés fondamentales et que nous avons besoin de grands espaces.
Maintenant, posons la question du kilomètre à un détenu d’une cellule surpeuplée des Baumettes, et même s’il ne s’agit pas d’Einstein, il vous dira que tout est relatif.
Posez la même question à la congrégation des sœurs cloîtrées de la Compassion qui vous répondront que les voies du Seigneur sont impénétrables.
Marcheur invétéré et pensant à tort bien connaître mon quartier, jamais sans le Covid-19 je n’aurais pu imaginer que dans un rayon d’un kilomètre autour de chez moi, il puisse y avoir tant des rues, tant d’impasses, d’escaliers, de passages. Jamais je n’aurais autant pris mon temps pour interpeller des passants ou simplement mes voisins, connaître un peu d’eux comme leur faire connaître de moi, qui sait, pour le Jour d’Après.
Et le plus fort c’est que ces déambulations donnent le goût de l’écriture. On pense en marchant et marcher fait penser, et puis souvent, écrire aussi. Rousseau, le disait déjà : "Jamais je n’ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi, si j’ose ainsi dire, que dans les voyages que j’ai fait seul et à pied sur les chemins. La marche a quelque chose qui anime et avive mes idées." Il n’est que de lire les randonnées de Victor Segalen ou Simone de Beauvoir, les circonvolutions de Marcel Proust, les promenades de Robert Walser, les pèlerinages de Péguy, les flâneries de Théophile Gautier, les sillons de Giono, les traverses de Gracq ou de Debord, les virées de Flaubert ou d’Hugo, les théories errantes de Nietzsche, relisez Jack london ou même les albums de Corto Maltese, et vous comprendrez que le chemin détermine une manière d’appréhender la vie et de s’accepter soi-même comme faisant partie du Tout.
Alors, munissez-vous de votre autorisation dûment remplie, prenez s’il le faut canne, déambulateur ou béquille, ayez toujours sur vous un crayon et un carnet pour noter ce qui vous étonne ou vous émeut, accessoirement gardez dans votre poche un appareil photographique, et surtout levez la tête, ouvrez grands vos yeux et vos oreilles, dites bonjour à la dame ou au monsieur que vous croisez et qui n’attend souvent que ça, sachez vous arrêter voire rebrousser chemin.
Un kilomètre de liberté à la porte de chez vous, et c’est l’Aventure qui commence.
Voyageur, le chemin
C’est les traces de tes pas
C’est tout ; voyageur,
il n’y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant (extrait de Caminante d’Antonio Machado)
Hervé Thomas.