Campagne contre l’extension de l’Aéroport Marseille-Provence

lundi 11 janvier 2021
par  Dominique SATABIN
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Bilan septembre-décembre 2020

Note d’info par le groupe Climat-Transition d’Attac-Marseille

Il ne s’agit pas d’un article, mais d’un bilan à partager tant au sein de notre collectif et de notre comité local qu’avec d’autres comités ou collectifs locaux en prise avec ce genre de projets.

Le projet
 2007-2017 : le nombre de passagers annuel sur l’aéroport Marseille – Provence (AMP) passe de 6 à 9 millions. Croissance due au développement du low-cost, comme à celui du trafic international.
 2017 : l’Aéroport Marseille-Provence (AMP) arrête UN GRAND PROJET D’EXTENSION : agrandissement et aménagement des bâtiments, modification des pistes ; avec un programme d’investissement de 500 millions d’€ sur 2017-2027.
Objectif : passer, en 10 ans, d’une capacité de 12 à 16 millions de passagers (perspective pour 2027) puis à 18 millions en 2045 avec l’extension du terminal 2.
 2019 : 10,151 millions de passagers.

Dans le projet d’AMP, il s’agit de moderniser et d’agrandir le terminal T1, afin d’éviter la saturation et d’augmenter l’attrait des infrastructures aéroportuaires, dans le contexte de la poursuite de la croissance rapide du transport aérien. Reprenant toutes les prévisions de trafic de l’industrie (Airbus, Boeing et IATA), le dossier juge inéluctable l’augmentation du trafic aérien et n’envisage pas d’alternative à ce modèle de croissance.

L’un des arguments est de contribuer à l’attractivité et au développement économique de la région.
Le projet fait silence sur les émissions de gaz à effet de serre, n’évoque pas les effets sur le climat, ni aucun choix alternatif possible, ni les responsabilités de l’aéroport dans cette situation.

Le projet a été soumis à l’Autorité Environnementale (Ae) qui a rendu le 24 juillet 2019 un avis très sévère sur de nombreux points. AMP y a répondu en partie et l’Ae a émis un deuxième avis le 4 mars 2020, c’est-à-dire avant les effets de la COVID.
Sachant qu’AMP vient déjà de réaliser entre 2017 et 2020, une première tranche de son projet en doublant la capacité d’accueil du terminal 2, dédié aux vols à bas coût, passant de 2 à 4 millions de passagers, il a été tenu de soumettre le reste, l’essentiel de son projet, à enquête publique ; mais pour cela il l’a scindé en 2 phases distinctes :
  la phase 1 (tranche ferme), portant essentiellement sur la construction d’un bâtiment de 22 000 m² (dans un espace déjà artificialisé situé entre les 2 terminaux existants) et son aménagement pour augmenter et rationaliser l’accueil des passagers et des bagages en réponse à l’augmentation de la demande et aux nouvelles normes sanitaires et sécuritaires (anti-terroristes). (Travaux prévus de fin 2020 à septembre 2023). Cette phase comprend aussi le redressement de deux voies de circulation (taxiways), afin de permettre l’extension future des aires de stationnement des avions.
 la phase 2 (tranche conditionnelle), portant sur la construction d’une jetée d’embarquement de 13500m² et des aires de stationnement permettant l’augmentation du nombre d’avions pouvant être accueillis simultanément, ainsi que sur l’extension des parkings de voitures.

Mais en ce printemps 2020, la pandémie est là, entraînant la pire crise qu’ait traversée la filière aéronautique. Les responsables de l’AMP, conscients que le trafic est en berne, et qu’ils n’ont pas de chance d’aller au bout de leur plan décennal avant de nombreuses années … masquent systématiquement l’objectif d’extension et n’ont pas peur d’affirmer froidement : la construction du « cœur d’aérogare » « ne vise en aucun cas à augmenter la capacité de l’aéroport » !!!

Pourtant ce bâtiment dénommé « cœur d’aérogare » est effectivement le cœur du projet d’extension de l’aéroport, permettant de doubler la capacité d’accueil. Hors les besoins pour la mise aux normes sécuritaires et sanitaires, la justification de construire de nouveaux commerces et services est très faible, à trafic inchangé.
La présentation des maquettes du nouveau bâtiment « Cœur d’aéroport » qui illustraient le projet en 2018 (comme figurant dans l’avis de cadrage de l’Ae du 9 mars 2019) comprenait des encarts tels que celui-ci : « Le projet permettra de créer des postes avions et des salles d’embarquement supplémentaires portant la capacité du Terminal 1 de 8 à 12 millions de passagers, … pour accueillir jusqu’à 18 millions de passagers en 2045 ».

Le dossier soumis à enquête publique, non seulement masque cet encart, dissimule l’objectif principal, mais présente cette même maquette en précisant : « Une fois construit, le nouveau bâtiment ne conduira pas à une augmentation de la capacité de l’aéroport : de facto, son impact environnemental est limité ». !!!
Donc, changement de discours, mais pas de projet !

AMP reconnaît que les dates de la reprise de la progression du trafic sont imprévisibles (tout en maintenant que cette progression reprendra de façon inéluctable).
Il soumet donc la phase 1 de son projet à enquête publique, alors que l’Autorité Environnementale (Ae), a considéré ce découpage comme difficilement justifiable sur le fond, et fragile juridiquement. En effet elle a demandé, dès son premier avis de mars 2019 que lui soit soumis le Schéma de composition générale (SCG), qui vise à planifier le développement de l’aéroport à horizon de 20 à 30 ans. Le SCG n’a toujours pas été réalisé !

L’ENQUÊTE PUBLIQUE s’est déroulée du 15 septembre au 16 octobre 2020.
Dans le temps de l’enquête nous avons critiqué (avec les associations, voir plus loin) le double langage dans l’exposé des motifs : AMP affirme à la fois que la phase 1 est nécessaire indépendamment de toute perspective d’augmentation du trafic, et qu’elle prend son sens dans la perspective de la phase 2 avec augmentation du trafic.
Le découpage en deux du projet vise à créer un fait accompli (y compris avec d’importants investissements), et l’engagement de la phase 1 peut être interprété comme un « pied dans la porte » pour empêcher la remise en cause des objectifs de croissance du trafic aérien.

La campagne
Fin août 2020 : la campagne à Marseille contre l’extension de l’aéroport est lancée par un atelier du « Camp Climat – Luttes Sociales » d’Alternatiba (en fait c’était une université d’été au local La BASE) avec l’aide des militant.es de Nice en lutte depuis plus longtemps contre le projet de leur aéroport. Les organisations suivantes ont participé à la campagne :
Alternatiba, ANV-COP21, Greenpeace, Youth For Climate, Extinction Rebellion, Attac, Amis de la Terre, France Nature Environnement + quelques associations de dimension locale.
À noter la bonne coopération entre ces associations et leur complémentarité à bien des égards : milieux d’implantation, formes de mobilisation, expertise, savoir-faire militants, générations.

La campagne a consisté en distributions de tracts et interpellations de rue, interventions dans la presse, appel aux sympathisants pour qu’ils répondent à l’enquête publique, et une courte occupation pacifique du hall de l’aéroport. L’idée d’une action de rue interpellant la Chambre de Commerce et d’Industrie, deuxième actionnaire d’AMP, a été abandonnée du fait de l’état d’urgence « sanitaire ». On a décidé de ne pas faire d’actions de désobéissance plus offensives (genre blocage), le plus important à ce stade étant l’information du public.

ARGUMENTATION

ATTAC Marseille a publié le 30 septembre sur son site https://local.attac.org/marseille/climat-transition/article/aeroport-marseille-provence-suite un article, argumentaire, sur ce projet climaticide.

Le principal argument de la campagne menée par le collectif est l’effet de serre.
Sur ce point, l’Ae recommande en particulier au maître d’ouvrage et à l’Etat de démontrer la compatibilité du projet avec l’engagement de la France à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Les autres arguments concernent les nuisances locales, qui sont importantes : bruit, surcharge du trafic routier, pollution de l’eau, menaces sur la faune...

On a aussi répondu à l’argument du développement économique régional : avantages du ferroviaire et de l’intermodalité (à intensifier) pour une bonne accessibilité à la région et à ses territoires ; quel développement ? et quels emplois ? notamment face à la diminution prévisible des emplois dans le transport aérien. Mais sur toutes ces questions nos réponses et notre communication n’ont pas encore été assez développées ; les contacts avec les syndicats concernés n’ont pas débouché sur des actions.

La question du coût de l’opération a été évoquée, mais pas beaucoup abordée dans la critique. Formellement les finances publiques ne sont pas concernées puisque l’aéroport prévoit de réaliser lui-même le financement. Cela dit la question mérite d’être posée ne serait-ce que parce que l’État est actionnaire à 60 % d’AMP.
La question de l’effet de serre est notre argument massue, toujours à rappeler, facile à utiliser.

Ce qui est difficile, c’est de répondre aux arguments compliqués et souvent pleins de pièges avancés par les promoteurs du projet pour masquer la question de l’effet de serre (mensonges par omission, chiffres bizarres, données compliquées pour faire diversion) ou pour éluder leur propre responsabilité. Par exemple le premier chiffrage des émissions de GES donné par AMP donnait pour les avions uniquement leurs émissions au sol (atterrissage, roulage, décollage), et il a fallu que l’Autorité Environnementale leur demande d’ajouter, pour les vols atterrissant ou décollant sur l’aéroport, la moitié des émissions en phase de croisière entre les aéroports de départ et d’arrivée.

Les rapports de l’Autorité Environnementale (Ae) ont été la meilleure source d’informations et d’arguments écologiques et juridiques adaptés précisément au projet de notre aéroport. Nous aurions dû dès le début (question de forces militantes) prendre le temps de lire ces avis avec l’aide de personnes compétentes, pour y voir clair dans l’enfumage et pour prendre l’initiative de la contestation dans l’opinion. Mais nous ne l’avons réalisé que progressivement … et peu avant la fin de l’enquête.

En effet, le ministère de la transition écologique et solidaire est responsable de la définition et du suivi de la mise en œuvre de la politique nationale en matière d’évaluation environnementale des projets des plans/programmes et des documents d’urbanisme ; dans ce cadre, l’autorité environnementale rend des avis (évaluation environnementale systématique) sur les projets, plans/programmes et documents d’urbanisme susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement et sur les mesures de gestion visant à éviter, réduire ou compenser (ERC) ces impacts ; selon les projets, ces avis sont rendus par le niveau national, ce qui était le cas pour le projet de l’AMP, soit par la Mission Régionale de l’Ae.

Les avis de l’autorité environnementale rendus sont joints aux dossiers soumis à enquête publique et mis à disposition du public ; mais noyés au milieu de plusieurs annexes, il est probable qu’ils ne sont en général pas lus par ceux qui répondent à l’enquête, la lecture du projet étant déjà fastidieuse.

L’Ae a formulé des demandes précises, mettant en évidence les non-dits et les inexactitudes dans les écrits du projet. Ces rapports nous sont apparus sincères et très bien documentés, tant sur le cadre général (engagements de la France dans l’accord de Paris et dans les lois françaises ; estimation du GIEC sur le rôle des avions dans l’effet de serre …) que sur la situation locale (plan contre les nuisances sonores par exemple).

Leur lecture est difficile : langage scientifique et juridique un peu ardu, renvois entre différents documents, et d’autre part les critiques les plus incisives sont enveloppées dans un discours poli, souvent des euphémismes, et les points les plus importants sont parfois mis dans au même niveau que des points plus anodins. Il faut donc faire de la traduction pédagogique pour avertir l’opinion.

Enfin on n’a pas envisagé la possibilité que la Commission Nationale du Débat Public se saisisse du dossier, a minima pour garantir une concertation publique, comme à Nantes.

LES ACTEURS DE LA CONSULTATION

Le décideur principal en présence est la société d’exploitation aéroportuaire AMP, concessionnaire de l’État propriétaire. L’État, actionnaire majoritaire d’AMP à 60% ne s’est pas engagé formellement dans le projet et a laissé AMP aux manettes. Les compagnies aériennes, et l’État qui les subventionne, restent en coulisse et n’ont pas été ciblés dans cette phase de la campagne. Le projet est soutenu par la Chambre de Commerce et d’Industrie (actionnaire à 25%) ainsi que par la Région (5%) la Métropole d’Aix-Marseille (4%) et le Conseil Départemental (5%) tenus par la droite. La nouvelle municipalité de Marseille (gauches + écologistes + citoyens), en cours de mise en place, ne s’est pas mobilisée sur ce dossier. Mais le groupe des élus de Marseille au Conseil Métropolitain a dénoncé, dans un discours de son chef de groupe élu EELV, le projet d’extension de l’aéroport comme l’un des GP2I (grands projets inutiles et imposés) aux côtés des projets routiers. Nous ne sommes pas assez informés sur les positions prises par les municipalités qui ont l’aéroport sur leur territoire. Certains élus protestent contre le manque de considération pour la population qui subit les nuisances locales : bruit, circulation automobile. Des institutions touristiques et culturelles (office du tourisme, MUCEM) apportent leur soutien au projet d’AMP, dont elles attendent une plus grande attractivité pour le public extérieur à la région.

Résultats de l’enquête publique

Selon le rapport du commissaire enquêteur, sur 849 contributions recueillies, 607 sont opposées au projet, soit 71 %, et demandent une réduction du trafic aérien en raison des gaz à effet de serre. Le commissaire enquêteur fait état des documents cités par les opposants.
Donc l’appel à mobilisation par les associations a bien marché.
Toutefois, dans le nombre des contributions on ne sait pas quelle est la part des habitant.es des communes locales.

Aucune analyse sérieuse des contributions et des arguments développés n’a été faite. Le projet est sorti de son contexte global (SCG) ; le commissaire-enquêteur minimise la portée et la pertinence des observations de l’Ae allant jusqu’à estimer que l’enquête publique ne se justifiait plus du fait du report à une date indéterminée de la tranche conditionnelle capacitive. In fine le rapport privilégie longuement les 158 soutiens du milieu économique.

Le rapport conclut à l’APPROBATION DE LA PHASE 1 DU PROJET.
Il entérine la disjonction entre les deux phases.

Concernant les émissions de GES, il entérine le caractère minimal des engagements pris par AMP, et, sur les décisions pouvant diminuer le trafic, le renvoi par AMP à la responsabilité du gouvernement. Le commissaire enquêteur laisse donc la porte ouverte à la poursuite future du projet d’extension.
Néanmoins, il reprend les conditions mises par l’Autorité environnementale à l’engagement de la deuxième phase.
C’est donc un rapport ambigu, qui ménage la chèvre et le chou, et ne prend pas du tout position sur l’avenir.

ACTIONS EN JUSTICE ?

Le collectif a mis en place un groupe juridique, où participent des militant.es des associations au niveau national (Greenpeace, Réseau Action Climat ...) . On s’est demandé si ce serait payant d’intenter des actions en justice, éventuellement sur des points de détail, pour obtenir quelques victoires, au moins retarder le projet, et relancer le débat dans l’opinion. On pourrait s’appuyer sur les considérations juridiques de l’Ae, qui sont assez détaillées. On a décidé de ne pas faire pour l’instant : peu de chance de gagner vu la jurisprudence, frais importants, peu de mobilisation prévisible de la population sur ces dossiers. Par ailleurs, une plainte concernant le projet de l’aéroport de Nice a été « dépaysée » vers le tribunal de Marseille et le collectif prévoit d’organiser une mobilisation lors du procès.

Perspectives

Le collectif a lancé une pétition.
https://agir.greenvoice.fr/petitions/non-a-l-extension-de-l-aeroport-marseille-provence-ce-projet-est-un-non-sens-climatique-et-social
Le 10 novembre, il a adressé une lettre ouverte au Préfet l’exhortant à ne pas délivrer le permis de construire :
https://alternatibamarseille.org/blog/non-a-l-extension-de-l-aeroport-marseille-provence-4/post/lettre-ouverte-a-monsieur-christophe-mirmand-prefet-des-bouches-du-rhone-4
Le 17 décembre, le Préfet a délivré le permis malgré cette intervention.
https://alternatibamarseille.org/blog/non-a-l-extension-de-l-aeroport-marseille-provence-4/post/communique-de-presse-du-22-decembre-2020-5

D’autres décisions sont à mettre au point.

La suite de l’action doit s’inscrire essentiellement dans une campagne nationale visant le gouvernement (et les autres décideurs) contre l’ensemble des projets d’extension des aéroports.

Il y a un an, le collectif de Roissy (demandant l’annulation du projet de terminal 4 de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, au nom de l’urgence climatique) disait que l’extension de Roissy pose en fait la question de la politique des transports de la France en regard de nos engagements climatiques. Du coup, elle ne doit pas être traitée au niveau régional : il faut une réponse du gouvernement, au niveau national.
Ainsi, la trajectoire actuelle de l’aviation nous emmène vers une augmentation des émissions du secteur aérien qui consommerait à lui seul l’équivalent du budget carbone de la France en 2050 ! (Voie caricaturale absurde).

« Le transport aérien fait partie des quelques secteurs pour lesquels il n’existe pas, à court ni moyen terme, d’alternative technologique « décarbonée » conclut un rapport du Shift Project.
Le Haut Conseil pour le Climat : « il est nécessaire de redéfinir les perspectives de l’aérien de façon concertée, rigoureuse et évaluée ».

La récente décision du Conseil d’État de soumettre l’État à une obligation de résultats dans la lutte contre le dérèglement climatique peut servir d’appui.

D’autre part au niveau local (+ départemental et régional) nous devons intégrer la question du transport aérien dans une réflexion d’ensemble et des propositions alternatives sur les transports, mettant en avant le ferroviaire, et l’intermodalité autour du ferroviaire. Un échange d’idées a déjà lieu notamment dans le cadre de l’appel « Plus jamais ça … préparons le jour d’après », avec notamment les apports de FNE et de SUD Rail.
Questions : quelle mobilisation militante ? par quelles formes militantes inscrire ces préoccupations dans l’opinion : événements de débat ? soutien aux luttes locales ? …

Joël Martine, Louis Rousseau le 30 décembre 2020


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