Kali Akuno : « Black Lives Matter a clairement transformé le récit, la manière dont nous parlons de la question du racisme dans ce pays. »

mercredi 4 novembre 2020
par  Hervé Thomas
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Article issu du dossier central du Lignes d’Attac n°123. Interview de Kali Akuno, militant antiraciste et pour la justice climatique états-unien, co-fondateur de Cooperation Jackson, réseau de coopératives de travailleurs·euses racisé-es dans la ville du même nom, au cœur du Mississippi.

Le mouvement Black Lives Matter a démarré en 2013 et les mobilisations ne faiblissent pas. Qu’a-t-il d’ores et déjà permis d’obtenir ?

C’est ambivalent. Du côté positif, le mouvement a clairement transformé le récit, la manière dont nous parlons de la question du racisme dans ce pays. Black Lives Matter a créé de vraies dichotomies. Il y a désormais clairement celles et ceux qui regardent en face l’histoire des injustices dans ce pays, qui reconnaissent la réalité du racisme, et qui essayent de faire quelque chose pour y remédier d’un côté ; et de l’autre, celles et ceux qui sont dans le déni. Cette polarisation traverse toute la société, jusqu’au plus haut niveau de l’État.
Le revers de la médaille, c’est que ce basculement alimente les forces de la suprématie blanche, et que l’on voit désormais pleinement à quelle point elles sont ancrées dans ce pays. Mais on ne peut plus prétendre comprendre ce pays, Donald Trump, ainsi que le mouvement réactionnaire néofasciste qui le porte, sans tenir compte de l’importance du « mouvement pour les vies noires ».

La réaction des suprémacistes blancs est-elle le signe qu’ils se sentent menacés et qu’ils doivent mettre toutes leurs forces dans la bataille ?

Malheureusement, je ne crois pas que la suprématie blanche est menacée. Ce qui change, c’est sa position dans la hiérarchie sociale. Ce qui est remis en cause actuellement, ce n’est pas la suprématie blanche en tant que telle. C’est sa position centrale dans le fonctionnement du capitalisme aux États-Unis. Nous avons très bien vu, au cours des dernières années, comment le capitalisme est parvenu à fonctionner sans accorder de privilèges aux blancs. Ce qui reste, ce sont donc ces gens dont l’identité s’est fondée depuis 500 ans autour de la blanchité, et qui se sentent aujourd’hui menacés, qui craignent de perdre ce qu’ils estiment être leur place dans l’ordre social légitime.

Qu’est-ce qui se joue actuellement ?

Partout dans le monde, la droite gagne du terrain. L’une des conséquences de cette dynamique, c’est que les États ont tous pris une orientation beaucoup plus répressive. Même les forces progressistes en viennent à justifier des mesures plus répressives. On le voit bien dans le cadre de la campagne de Biden. En pleine pandémie, et au moment où ce pays connaît sa plus grande mobilisation sociale depuis les années 60, le parti démocrate ignore purement et simplement les demandes liées à la santé. Et Biden refuse d’entendre celles et ceux qui revendiquent que l’on cesse de financer la police – il a même pris l’engagement de lui accorder plus de financements.

Quel est le rôle de la gauche dans ce qui s’annonce ?

Nous devons la reconstruire complètement, dans le contexte du soulèvement en cours. Une jeune génération prend conscience des limites du système capitaliste et de la nature de l’État. Ma génération doit accepter de jouer un rôle en arrière plan : la culture actuelle est bien plus horizontale. Nous devons apprendre les un.es des autres, nous former, tirer les leçons de notre histoire, et surtout ouvrir des lieux et créer des infrastructures organisationnelles pour que les jeunes puissent construire l’avenir.

Pour ma génération, la victoire semblait inévitable, l’histoire était de notre côté. Nous savons désormais que ce n’est pas nécessairement le cas. Nous devons donc tout donner en ce moment, car une période de soulèvement telle que celle que nous vivons pourrait bien ne pas se reproduire de sitôt. Le système est résistant, il peut rebondir, il sait exploiter la moindre des contradictions de nos mouvements. Nous devons donc être prêt·es, tout en reconnaissant que le changement est un processus au long cours.

Propos recueillis par Nicolas Haeringer, membre du CA d’Attac et du Conseil Scientifique.
Illustration : Charlotte Planche


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