Les Drôles de Partenariat de BlackRock
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Un Entretien réalisé par Benjamin Grinda de La Marseillaise que nous remercions au passage.
Maxime Combes (Attac) : « Pour lutter contre le dérèglement climatique, on a besoin non pas de BlackRock mais d’argent public ».
Un partenariat a été annoncé la semaine dernière en marge du Forum économique mondial de Davos (Suisse), entre le gestionnaire américain de capitaux BlackRock, l’Agence française de développement (AFD), le ministère de l’Environnement allemand et des fondations privées.
Décrit comme « un partenariat unique qui mêle des capitaux philanthropiques, publics et privés, afin de combattre le risque climatique », le Climate finance partnership (CFP) vise à financer des projets de développement durable dans les pays émergents, notamment en Afrique. Un capital de départ de 100 millions d’euros, mis sur la table par la France via l’AFD et l’Allemagne, sera augmenté selon un premier objectif à 500 millions d’euros, par l’entremise de BlackRock. Le calendrier n’a pas été précisé par le géant de la finance, qui a affiché son ambition de fournir à ses clients « de nouvelles opportunités d’investir dans la transition mondiale vers une économie à bas carbone ». Maxime Combes est économiste et porte-parole d’Attac France. dénonce une opération d’éco-blanchiment du plus important gestionnaire d’actifs du monde.
Comment définir ce que représente BlackRock ?
Maxime Combes : C’est une entreprise que tout un chacun n’a pas à connaître. C’est un gestionnaire d’actifs, et le plus gros au niveau mondial. C’est un intermédiaire financier qui va placer de l’épargne sur les marchés, et principalement les marchés-actions, en garantissant une rentabilité minimale, et avec des coûts de gestion plus faibles que d’autres acteurs du marché. C’est aussi l’un des principaux actionnaires du Cac 40, et au-delà, l’un des principaux actionnaires des entreprises françaises. BlackRock joue un rôle extrêmement puissant car à chaque fois qu’il se retrouve au capital de ces multinationales, ses représentants siègent dans les conseils d’administration, et du coup, ils possèdent une capacité d’influence du capitalisme mondial à laquelle on avait jamais assisté auparavant.
Quel regard portez-vous sur l’annonce de ce partenariat ?
M.C. : Ce qui a été annoncé aujourd’hui est le fruit de la réception en grandes pompes de Larry Fink, le PDG de BlackRock, ainsi que d’autres représentants de gestionnaires d’actifs, en juillet 2019, dans les salons de l’Élysée par Emmanuel Macron. Celui-là même qui est toujours à la recherche d’honorabilité et de respectabilité internationale sur le plan du climat, a convié les investisseurs à débloquer de l’argent supplémentaire sur cette question. L’une des résultantes est cette annonce, qui est en fait une caution que Paris et Berlin offrent à BlackRock autour d’une opération de pur greenwashing.
Si on résume, à partir d’un pot commun de 100 millions d’euros, BlackRock va chercher par effet de levier 400 millions d’euros pour financer un fonds d’investissement, pour le climat vers les pays du Sud. La première remarque, c’est que ce montant de 500 millions d’euros est infime par rapport à la promesse qu’avaient annoncé en 2009 les pays du Nord en matière de financement de mesures pour le climat en direction du Sud, qui devait s’élever à 100 milliards de dollars par an. L’annonce d’aujourd’hui représente au mieux 0,5 % de cette somme. Par ailleurs, ces 500 millions sont aussi très faibles au regard des 7000 milliards de dollars que BlackRock gère au quotidien. Pour lutter contre le réchauffement climatique, il faudrait sans doute des centaines, voire des milliers de milliards de dollars. De plus, ces 500 millions de dollars sont destinés à financer des opérations qui devront être rentables, pour satisfaire les exigences d’investisseurs classiques.
Justement, qui peut attester de l’efficacité de l’utilisation de ces investissements en matière climatique, sans pilotage de politiques publiques ?
M.C. : Pour lutter contre le dérèglement climatique, on a besoin non pas de BlackRock, non pas d’investisseurs, mais d’argent public, alloué sans condition vers les pays du Sud, qui financeront des politiques qui ne seront pas rémunératrices. Quand vous avez à financer la construction de digues, le réaménagement d’espaces urbains, ou pour aider les paysans à faire face aux conséquences du dérèglement climatique, ce n’est pas « rentable » selon les arbitrages court-termistes du marché.
BlackRock est-elle une entreprise à la hauteur de ses annonces ?
M.C. : BlackRock n’a jamais tenu ses engagements : en 2016, l’entreprise avait publié un rapport, qui appelait les investisseurs à tenir compte de la protection de l’environnement et du climat. Dans les faits, BlackRock n’a jamais suivi ses objectifs. Les exemples sont très nombreux : en 2018, les représentants de BlackRock ont voté contre 90 % des résolutions sur le climat soumises au vote en assemblée générale d’actionnaires. Par ailleurs, six des dixhuit membres du conseil de direction de BlackRock, sont liés à des entreprises du secteur des énergies fossiles, comme BP ou Halliburton. Comme les places internationales boursières sont très liées aux résultats des compagnies pétrolières, le résultat des investissements opérés par BlackRock est dépendant des résultats de ces entreprises. BlackRock a donc structurellement intérêt à ce que ces compagnies pétrolières génèrent encore beaucoup de profits.
Que demandez-vous ?
M.C. : On demande aux pouvoirs publics de prendre le taureau de Wall Street par les cornes, pour imposer une taxation des transactions financières, des dividendes et de la rémunération du capital à des niveaux suffisants, pour mettre en œuvre une lutte drastique contre l’évasion fiscale. N’aurait-on pas pu ainsi récupérer plus facilement de l’argent public pour mener des politiques de transition écologique ?