Le livre du mois d’août : Le nouvel esprit du service public, Direction Romain Pudal et Jérémy Sinigaglia, présenté par Christine Findal

dimanche 1er septembre 2024
par  MEAD Christine
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Le nouvel esprit du service public

Sous la Direction de Romain Pudal et Jérémy Sinigaglia, Editions du croquant 2024, 20 €

Depuis plusieurs décennies, les réformes successives des services publics ont transformé le travail des agents de la fonction publique.

Des entretiens avec des fonctionnaires éclairent ces transformations porteuses d’un “nouvel esprit” que les agents sont sommés de mettre en oeuvre et qui bouleverse le sens même du service public et des métiers.

Romain Pudal est directeur de recherche au CNRS, au centre de la recherche sur les liens sociaux, et travaille sur les services publics , notamment à partir d’une enquête au long cours sur les pompiers.
Jérémy Sinigaglia est maître de conférence en Sciences Politiques à l’université de Strasbourg, au laboratoire Sage (Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe). Ses travaux interrogent la manière dont les politiques transforment les métiers et les conduites des agents, notamment les cadres intérimaires.

La dégradation des services publics a fait l’objet de nombreux travaux en sciences sociales.
Tous ont en commun de montrer tant la détérioration des conditions de travail des agents que celle de la qualité de service rendu aux usagers.
Les successives contre-réformes entendent inculquer un nouvel esprit managérial qui passe par des mots empruntés au monde de l’entreprise et surtout par des pratiques, en particulier de mesure et d’évaluation, qui entravent le travail, loin de favoriser l’engagement des agents.
Ces logiques entrent en contradiction avec des valeurs fondatrices -néanmoins toujours affichées- et sont un frein à la réalisation des missions et à un traitement équitable des usagers.

Deux principes ont guidé l’ouvrage :

 Donner la parole aux agents, en diversifiant les points de vue, afin de rendre compte de leur travail et de la manière dont il est affecté par l’environnement politique et institutionnel ; les conséquences les plus manifestes étant la qualité empêchée et la perte de sens du travail.

La qualité empêchée, c’est savoir ce qu’il faudrait faire pour bien faire son travail et rendre un service adéquat, tout en étant dans l’impossibilité structurelle de le faire.
La perte de sens en découle : le sens du métier s’évapore, condamnant l’agent au doute, à la désillusion, voire au désarroi.

- Montrer les résistances à ces transformations.

Certains sont ajustés à ce nouvel esprit, notamment chez les cadres intermédiaires ; cependant, de multiples résistances existent (prise de parole, contournement, détournement des injonctions...) et un réel attachement aux valeurs fondatrices du service public se révèle.
Ce sont deux conceptions opposées qui s’affrontent.
Si la nouvelle gestion semble durablement installée partout, par contre les entretiens montrent un élargissement du périmètre de la critique.

L’enquête porte sur plusieurs secteurs d’activités : la fonction publique territoriale, les métiers d’ordre, de la santé, de la justice, de l’éducation ; mais les constats, malgré la diversité des métiers, sont singulièrement proches.

Un exemple : “Désordres dans les métiers d’ordre” :

Police : un marché de dupes
La logique managériale appliquée à la police concerne tous les Etats occidentaux depuis la fin des années 70.
L’injonction à la performance (“efficience et efficacité de l’action policière”) s’inscrit, en France, dans un mouvement lancé dans les années 90, en lien avec les réformes néo-managériales de l’administration.
En témoigne la généralisation des notions de gestion par objectifs et de culture du résultat prônée par la réforme des corps et carrières et des modes de gestion de 2004.

Dans cet ouvrage, les entretiens -mis en perspective sur dix ans, entre les années 2000 et 2010- présentent des policiers déçus par les transformations vécues, enfermés dans une organisation qui brise leur esprit d’initiative et leur engagement, et met à nu les rapports de domination au travail, auparavant atténués par les collectifs désormais affaiblis.
Dans la configuration néo-managériale, les policiers disposaient d’autonomie pour définir leurs priorités, la hiérarchie justifiant après-coup de leur travail.
Mais la nouvelle organisation a renforcé le pouvoir de l’administration sur ses agents.
Dans les services judiciaires, les activités sont parcellisées, les brigades spécialisées, réduites, souvent éphémères, les tâches strictement délimitées , le travail contrôlé en permanence, et ce quelle que soit la position hiérarchique.
La hiérarchie ne joue plus son rôle dans la transmission des savoir-faire, d’autant qu’elle se tient à distance des subordonnés.
La logique de compétition entre unités fissure les solidarités, et cependant elle est intégrée et reprise par ceux qui la dénoncent.
Or, ce qui a contribué à les diviser est bien la rationalité managériale (unanimement critiquée), renforçant des lignes anciennes de clivage entre les corps.
Sans la sociabilité élargie (rencontres entre groupes de travail), plus d’ethos (+ou - : comportement) collectif, ni de doxa (+ ou - : opinion) commune qui donnerait sens au travail.


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