Le Livre du mois d’août "Santé : Les inégalités tuent" d’Alfred Spira et Nicolas Leblanc, présenté par Christine Findal

lundi 1er août 2022
par  MEAD Christine
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Santé : Les inégalités tuent

de Alfred SPIRA et Nicolas LEBLANC, Editions du Croquant, mars 2022, 12 €.

Issues de nos modes d’organisation éducative, sociale, politique, les inégalités ont des conséquences multiples, notamment sur la santé.
Au XIXe siècle, le Dr Villermé découvrit la relation entre durée de vie et niveau de vie (revenus, éducation, profession, habitat) : les pauvres meurent plus jeunes.
Au XXIe siècle, c’est toujours le cas.
La réalité sociale qui sous-tend ces différences doit être comprise pour être corrigée.
Cet ouvrage se propose d’expliquer les inégalités sociales de santé, ce qui les détermine, et de tracer des perspectives de correction.

Les auteurs sont médecins, l’un professeur d’épidémiologie, l’autre exerce en santé publique.

La santé a été définie par l’OMS en 1946 comme un état de bien-être physique, mental, social, et environnemental.
Or, le niveau de santé de la population dépend de tous les domaines de la vie sociale, économique et environnementale, étant la résultante de l’interaction entre de nombreuses composantes : tous les déterminants de la santé sont en étroite complémentarité et peuvent se cumuler rapidement, dans un sens positif ou négatif.

Ainsi, une meilleure protection des enfants, un meilleur accès à la prévention, à une alimentation saine, à un environnement moins agressif, ont des effets rapides sur la morbidité et la mortalité ; mais à l’inverse, l’émergence d’une nouvelle maladie fréquente, grave, que l’on ne sait pas endiguer, et la conjonction de multiples facteurs délétères de vulnérabilité vont conduire à une explosion de l’ensemble des inégalités : ce à quoi nous assistons depuis l’apparition de la pandémie du Covid-19.

On voit que réduire les inégalités de santé ne peut se faire sans repenser la structure et la dynamique des sociétés dans les secteurs de l’éducation, la redistribution, l’accès à l’emploi, la protection de l’environnement...et par une approche empirique et pragmatique.
Ce qui implique des choix politiques sur le long terme et la mise en œuvre d’outils de suivi et de mesure, de stratégie et d’action ; ce qui doit résulter d’une délibération démocratique associant toutes les composantes de la société, y compris les simples citoyens, acteurs et bénéficiaires potentiels des actions engagées.

  • 1 Comprendre les inégalités sociales de santé

Pour l’Observatoire des inégalités (organisme indépendant), on peut parler d’inégalité sociale quand une personne ou un groupe détient des ressources, exerce des pratiques, a accès à des biens et des services "socialement hiérarchisés" (que tous ne détiennent pas).
Les êtres humains sont différents entre eux par nature ; les différences biologiques sont source d’hétérogénéité et d’inégalités, pouvant constituer des désavantages :
un handicap physique a des conséquences sur la qualité de vie, les possibilités d’adaptation et entraîne le plus souvent un détriment social ; mais de nombreux domaines peuvent être porteurs d’inégalités sociales, qui s’établissent entre des catégories de la population détenant certains attributs (sexe, âge, niveau socioculturel, origine)
Pour décrire les inégalités, il faut croiser les différents domaines potentiellement porteurs de différences et souvent d’inégalités, avec les attributs des personnes, selon différentes dimensions, comme la santé : c’est l’approche dite intersectionnelle.

La tâche est compliquée : nombreux croisements possibles, arbitraire de la catégorisation, incidence des choix sur l’observation des effets...de plus, les catégories ne sont pas indépendantes entre elles.
En fait, on tâche de mesurer des écarts entre des catégories pour certaines caractéristiques, puis on affine l’analyse afin d’interpréter les écarts.
Après avoir isolé de grands principes, il importe d’identifier les déterminants potentiellement causes d’inégalités, et d’objectiver les interventions susceptibles de réduire les inégalités par rapport à l’implication des facteurs sur lesquels on peut agir.

Une des plus flagrantes inégalités : L’espérance de vie à la naissance (construction statistique réalisée à partir de la mortalité par âge à un moment donné) en France, accuse pour les hommes, 13 ans d’écart entre les 5 % les plus pauvres (470 euros par mois en moyenne pour une personne) et les 5 % les plus riches (5.800 euros par mois ou plus), selon l’INSEE , pour la période 2012-2016, soit 71 ans contre 84, et 8 ans d’écart pour les femmes, soit 80 ans contre 88.

Cette espérance de vie croît rapidement avec le revenu jusqu’à 2.500 € mensuels mais bouge peu au-delà.

Au XVIIIe siècle, l’espérance de vie passe de 25 à 30 ans, pour atteindre 45 ans en 1900 (les enfants meurent moins souvent)
Au XXe, les progrès sont plus rapides, à l’exception des deux guerres mondiales.

Cependant, depuis une décennie, on note une tendance au ralentissement, voire à la stagnation ; ce qui peut être dû d’une part à une limite inhérente aux humains, d’autre part à des facteurs externes, individuels et collectifs : ce ralentissement ne concerne pas toute la société de façon homogène.

De plus, les inégalités d’espérance de vie en bonne santé sont plus importantes encore, du fait des taux de morbidité (proportion de personnes malades dans une population déterminée), plus élevés dans les groupes socioéconomiquement inférieurs.

Parmi les inégalités sociales, celles liées aux ressources touchent les enfants dans de nombreux pays européens, et la pauvreté constitue une menace pour leur santé.
La mortalité infantile a augmenté dans les régions les plus frappées depuis 2008 par la récession.

Quant à la santé des personnes migrantes, le budget que l’UE lui consacre est dans sa plus grande partie utilisé pour le contrôle des frontières, alors que la santé est instrumentalisée pour justifier le refus d’entrer sur le territoire national.

Des troubles de la santé mentale sont observés chez les enfants dans cette catégorie, résultant des difficultés rencontrées avant, pendant la migration, et après ; les femmes migrantes bénéficient moins souvent d’un statut administratif légal et d’un accès aux soins.

L’ensemble des publics précaires , en France, rencontre des difficultés dans la prise en charge des problèmes de santé : complexité de la CMU/CSS, et de l’AME, délai de carence de trois mois pour celle-ci...

Les inégalités sociales de santé ont tendance à s’accroître et concernent cependant souvent des maladies non dépourvues de moyens de prévention et de traitement.

Les stratégies de santé, en particulier la prévention, doivent prendre en compte les différences dans la compréhension et l’adhésion à des interventions, en terme d’adaptation à des groupes spécifiques ; en particulier s’il s’agit de modifier des comportements à risque.

En outre, si l’on vise plus d’équité entre les citoyens, un désavantage déterminé tôt dans l’existence devrait être compensé par la société.

Après avoir observé de plus près les réalités en France dans ce domaine, les auteurs présentent quelques perspectives d’action.

  • 2 Quelques perspectives pour traiter les inégalités sociales de santé

L’épidémie de Covid-19 a vite révélé que, outre l’âge avancé, le principal facteur de gravité résidait dans la « comorbidité », la présence d’affections chroniques fortement déterminées et amplifiées par les inégalités sociales :

Les mauvaises conditions sociales favorisent l’émergence de comorbidités, qui aggravent les risques sanitaires liés à l’épidémie, dont les conséquences sont amplifiées par les mauvaises conditions sociales.

Les plus défavorisés cumulent les facteurs de risque et de gravité face au Covid-19 :
vulnérabilité du fait de leur fragilité, risque d’exposition, de contamination, de transmission du fait des conditions de logement, de transport, de travail, susceptibilité à des formes graves du fait d’une santé déficiente et de comorbidités, moins bon accès au système de santé, confinement dans un environnement restreint ; défiance vis à vis des pouvoirs publics et donc résistance aux stratégies de prévention vécues comme restrictions supplémentaires.

Face à cela, seuls des systèmes de protection sociale de haut niveau peuvent contribuer à amoindrir les conséquences de la pandémie.

De façon générale, les politiques sociales ont un impact, positif ou négatif, sur les inégalités en matière de santé, elles-mêmes induites par le système fiscal, les règles du marché du travail et du logement, le système éducatif, la planification urbaine, la gouvernance politique et le fonctionnement des systèmes de santé.
En effet, les politiques sociales influencent directement les déterminants sociaux de la santé, mais développent des stratégies indépendamment de leurs effets sur la santé des personnes concernées.
Ainsi, le recul de l’âge de départ à la retraite augmente le risque de dépression, alors que la gratuité des transports en commun pour les personnes âgées le diminue...

Pour protéger la santé des personnes fragiles, les migrants en particulier, c’est un soutien en cas de difficultés psychologiques qu’il faut envisager, mais aussi une meilleure intégration sociale ; pour un meilleur accès à la prévention et aux services de soins, c’est un système plus inclusif qui est souhaitable, permettant l’intégration des bénéficiaires de l’Aide Médicale d’Etat dans la sécurité sociale, renforçant la médiation en santé, la formation des professionnels de santé aux problématiques socio-sanitaires, le développement des CPTS (Communautés Professionnelles Territoriales de Santé, qui visent la coordination des soignants et l’implication des patients).
La diversité (culturelle, sociale, linguistique) des patients est à prendre en compte, et des politiques mieux adaptées aux besoins des groupes doivent être développées, suivies, évaluées ; d’autant plus dans un contexte de dérèglement climatique et de conflits potentiellement importants.
Sont à renforcer les capacités de recherche relatives aux facteurs environnementaux de fragilité et leurs interactions avec le domaine social.

Consacrons moins de temps à l’ "optimisation" technocratique des services de santé, et plus à écouter, éduquer, prévenir.

Depuis 1994 et un rapport du Haut Conseil de la Santé Publique sur la situation française dans le domaine des inégalités sociales de santé, la volonté de les réduire a été régulièrement affichée, mais sa traduction opérationnelle est limitée, du fait de l’éloignement monde académique-acteurs de santé, et de la faiblesse des moyens alloués aux programmes.

Les initiatives locales et régionales sont dispersées, non pérennes, peu évaluées.

Le monde politique et de la haute fonction publique considère que le système de santé doit être orienté vers les soins médicaux en priorité et que les problèmes rencontrés relèvent de difficultés structurelles de gestion ; même dans l’accès aux vaccins anti-Covid-19, la précarité sociale n’est pas prise en compte.

Cette vision, associée à une insuffisance de méthodologie et d’outils de la statistique publique, conduit à une aggravation des inégalités.
Celles-ci, pour être traitées, demandent un changement de cadre, un nouveau modèle de développement.
Notre existence dépend désormais de la prise en compte de l’environnement, et agir sans s’attaquer à la source de ce qui génère ces inégalités expose à l’inefficacité.
Les simples compensation ne font que retarder le renversement de perspective et décourager les acteurs de terrain.
De même, la réduction des inégalités sociales de santé suppose à minima, le respect des engagements du développement soutenable, à l’échelle internationale.

Les textes de référence
Ces objectifs ont été définis par l’ONU en 2015 ; ils visent une transition économique, sociétale, environnementale.
L’OMS de son côté a publié en 2013 un rapport sur les déterminants sociaux de la santé, qui conclut à la nécessité d’éradiquer les causes structurelles des inégalités sociales dans les conditions de vie.

A l’échelle européenne, le principe de subsidiarité laisse aux Etats membres leur compétence en santé publique : il n’y a pas d’Europe de la santé.
Cependant, le green new deal et le socle européen des droits sociaux comportent des éléments utiles et des pistes sont données pour le niveau national : - investir dans la recherche pluridisciplinaire, dynamisée en prévention et en santé publique ;
 élaborer une stratégie pluriannuelle, alliée à des moyens, mobilisant l’ensemble de la société et dotée de perspectives accessibles.

Dans l’esprit qui a présidé à la création de la sécurité sociale, il est temps d’élargir le champ de la solidarité à la santé et à ses déterminants : une sécurité sociale cohérente avec l’évolution des risques sociaux serait un signe de performance : celui du développement humain.

La lenteur de l’émergence de la couverture du risque « dépendance » montre que le modèle en cours n’est pas enclin à réduire la « fracture sociale ».

Cependant, des réflexions nouvelles émergent, comme la sécurité sociale alimentaire
(garantir un panier alimentaire sain tout en favorisant les producteurs locaux).

A ce jour conduite par le ministère de la santé, la lutte contre les inégalités sociales de santé n’est pas prioritaire, alors que les sources étant plurielles, cette lutte devrait être portée au plus haut niveau de l’Etat : l’approche par pathologie, ou séquentielle, ne suffit pas.

Pour assurer l’efficacité à long terme des actions :

  • chaque loi votée pourrait engager une analyse d’impact en santé et environnement ;
  • des actions transversales dotées en moyens seraient basées sur des objectifs ciblés et suivis
  • les acteurs de terrain seraient mis au centre du jeu.

Mais pour aller dans ce sens, le cadre administratif actuel et sa logique ne sont pas les plus adaptés.

La question se pose de l’opportunité de l’échelon étatique déconcentré (ARS) plutôt que les conseils régionaux, plus à même de mobiliser les acteurs.
Quant à l’échelon municipal, l’élargissement de ses missions à la réduction des inégalités de santé pourrait garantir les moyens mis en œuvre (alors que leur dotation globale de fonctionnement ne cesse de diminuer).

Une fiscalité favorable à la réduction des inégalités de santé pourrait s’adjoindre un régime de pénalité (en direction des collectivités territoriales, des employeurs )

Les objectifs seraient privilégiés, en les élargissant (par exemple : cibler tous les poisons du quotidien sur le modèle de la lutte contre le tabagisme).


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