Le Livre du Mois d’Avril 2019 : "Les Racines de la Colère"

mardi 9 avril 2019
par  Hervé Thomas
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Les Racines de la colère. Deux ans d’enquête dans une France qui n’est pas en marche, Les Arènes, 168 pages, 22 euros. Parution : 13 mars 2019

Le titre choisi, Les racines de la colère, au-delà de l’hommage au roman Les raisins de la colère de l’écrivain américain John Steinbeck, colle parfaitement à cet ouvrage qui en dit long, en quelques photos, sur le quotidien d’une France en marge.

Au printemps 2016, Emmanuel Macron, ministre de François Hollande, lance son mouvement En Marche !. Le choix de ce nom est lourd de sens. C’est une injonction : il faut bouger pour s’en sortir.

Quelques semaines avant l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, le photographe Vincent Jarousseau s’est installé à Denain, petite ville de 20 000 habitants dans le nord de la France, afin de suivre le quotidien de familles issues de milieux populaires pour qui la mobilité n’est pas toujours une solution.

Pendant deux ans, il a donné la parole à des personnes le plus souvent invisibilisées dans les représentations médiatiques, et tenté de montrer les fractures qui menacent notre modèle démocratique. Il nous livre un documentaire en forme de roman-photo, où tout est vrai.

Chaque propos a été enregistré et retranscrit à la virgule près. Les Racines de la colère racontent le quotidien d’une France qui n’est pas « en marche »

Des portraits de rebuts et recalés, qui disent la misère culturelle, sociale, économique, une misère digne qui n’entend pas se coucher. Des portraits qui exhalent la peur du lendemain, la peur de l’autre, de l’étranger, où transpirent aussi la méfiance envers les médias traditionnels et une colère à l’égard des pouvoirs politiques. « La carte d’électeur, je l’ai déchirée, s’exclame Christian. Ça sert à rien ! Macron, il a dit qu’il en avait marre de claquer plein de pognon, et pendant ce temps-là il supprime l’impôt sur la fortune, c’est pas normal ! Nous, on nous baisse l’APL, les allocations, ça me bouffe la gueule, il faudrait faire un nouveau Mai 68. »

Denain est une ville qui vit avec les stigmates de son passé – comme le retrace dans un chapitre liminaire une bande dessinée d’Eddy Vaccaro. Au cœur d’un bassin industriel, entre mines de charbon et sidérurgie, les lieux ont connu leur apogée dans les années 1970. Denain comptait alors quatre cinémas, autant de dancings, une prospérité sans égale. Jusqu’à ce qu’en 1978 la direction d’Usinor décide la suppression de 5 000 emplois sur les 6 790 de l’usine. Un monde s’écroulait pour des milliers de familles. Le site ferme ses portes en 1985, est démonté et réinstallé en Chine. Aujourd’hui, la ville accuse un taux de chômage de 34,7 %, un taux de pauvreté de 44,5 % et un niveau d’études où les sans-diplôme représentent 47,2 % des habitants.

Au second tour de la dernière élection présidentielle, Marine Le Pen devance largement (57,46 %) Emmanuel Macron (avec un taux d’abstention de 34,47 %).

« Denain est emblématique de cette France que certains ont qualifiée de “périphérique”, observe le photographe. Ni complètement urbaine ni rurale, éloignée des centres de décision et du pouvoir, Denain, c’est la France des plans sociaux, de l’abstention et du vote FN, des habitants qui s’organisent en une sorte de “contre-société”, attachés pour certains à l’enracinement social et familial, à des valeurs traditionnelles. On est très loin du projet présidentiel d’En marche ! et de ce qu’il valorise, à savoir la mobilité. »

Vincent Jarousseau a travaillé dans le champ social avant de tourner la page voici deux ans pour se consacrer à la photographie documentaire. Depuis l’été 2014, il a entrepris, avec l’historienne Valérie Igounet, un travail sur les villes gérées par le Front national telles que Hayange, Beaucaire et Hénin-Beaumont. Il travaille régulièrement pour la presse (Libération, Le Monde, Les Échos, la revue XXI). Membre de l’agence Hans Lucas et du collectif de journalistes indépendants les Incorrigibles, ses photographies sont régulièrement sélectionnées au festival Visa pour l’image, à Perpignan.


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