Le livre du mois de décembre :" Paresse pour tous" d’Hadrien Klent, présenté par José Rose
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Hadrien Klent, Paresse pour tous, Le Tripode, 2022, 10 euros
Et si l’on rêvait un peu ? Si l’on imaginait un autre monde ? Quand on est auteur, il suffit de se lâcher devant son clavier pour que le lecteur entre plus tard dans le monde enchanté des mots. Il franchira alors allègrement le portail au fronton duquel est inscrit le fameux « On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste » de L’an 01 et suivra les pas d’Hadrien Klent et de son personnage Emilien Long.
C’est donc l’histoire d’un prix Nobel d’économie qui prend au mot ce slogan de Gébé et au sérieux ses recherches sur le temps de travail au point d’en faire la base d’un programme politique. Il devient ainsi candidat aux élections présidentielles et le lecteur va suivre son parcours jusqu’au moment fatidique où les télévisions dévoileront le portrait du président élu.
L’épopée fulgurante se passe à Marseille, « cette drôle de ville, houleuse et crasseuse, mais lumineuse et vivante, solidaire et originale ». Et le lecteur local arpente avec joie un terrain familier allant de Sormiou aux Réformés, croisant même Vélos en Ville et le Printemps marseillais.
Le héros se laisse d’abord convaincre par ses proches puis compose son équipe de campagne - d’un youtubeur à un poète - loin du modèle habituel des techno-énarques interchangeables.
« Au boulot, boulot, boulot. Pour le droit à la paresse » ! écrit l’auteur. Le programme d’Emilien est radical - 3 heures de travail par jour (qui dit moins ?) et « très simple à mettre en œuvre ». « En libérant du temps, on libère en réalité la possibilité pour les gens de faire des choses ». Planent les ombres bienfaisantes de Lafargue, Marx, Dumont et même Keynes.
La campagne est disruptive, comme disait l’autre, et placée sous le signe d’un paresseux accroché à une branche. L’idée de base se décline dans des Ateliers de travail qui élaborent événements – recherche de signatures en roulotte, meeting en vélo – rencontres avec les journalistes – le madré et la débutante - et recherche de slogans pétants : « Voter Emilien Long, c’est voter pour moins de travail, mais plus de vie » ; « Nous voulons changer le monde. Nous pouvons changer le monde ! Car ! Nous ! Sommes ! le ! Monde ! ». Prière de ne pas ironiser.
Tout s’enchaîne et nous rappelle des élections récentes et à venir jusqu’au grand duel d’entre deux tours. Long en sera-t-il ? Les électeurs auront-ils à choisir entre « une société du travail, de la production, de l’énergie et une société du temps libre, du partage, de la décroissance » ? Suspens.
On s’amuse à cette pochade digne des belles histoires racontées le soir aux enfants pour les endormir ou sur le chemin de l’école pour les réveiller. Cette critique feutrée de notre société s’écrit avec fantaisie et tout baigne dans ce monde merveilleux : les hésitants se laissent convaincre, les malades se requinquent, les adversaires se laissent bousculer, les hésitations se dissipent aisément.
Mais c’est aussi un livre qui fait réfléchir. Sur la paresse d’abord, laquelle « n’est ni la flemme, ni la mollesse, ni la dépression ». « Ce n’est pas ne rien faire, c’est faire les choses au bon rythme, un rythme où l’on écoute nos véritables besoins » car « nous ne laisserons plus le travail nous imposer sa loi ». « La paresse au XXIe siècle c’est avoir du temps pour s’occuper de soi, des autres, de la planète : c’est se préoccuper enfin des choses essentielles à la bonne marche d’une société ».
Sur les réformes aussi. En finir avec les bullshits, favoriser les coopératives, les associations, le bénévolat, le tout dans un modèle économiquement viable.
Et surtout croire aux utopies car il y a une alternative (TIAA), des sources vivifiantes et des expériences prometteuses comme les petites communautés. « L’utopie oui. La réalité, oui, aussi. Les deux ensemble », ce que l’on appelle « l’utopie réaliste ».
Certes, dans ce monde imaginé, il n’y a pas de véritables obstacles, d’horribles capitalistes parasites, de lutte de classes et d’inégalités. Certes, on est plus dans un réformisme tranquille que dans la révolution mais, sait-on jamais, de pas en pas…
Et l’on sort ragaillardi en espérant une suite qui nous ferait passer de l’utopie de papier à l’utopie concrète. Cette suite annoncée dans un excipit - « Une utopie peut-elle devenir réelle ? Une utopie doit-elle devenir réelle ? A suivre… » - vient même de se réaliser. Mais c’est une autre histoire.