Le Livre du mois de février : "Qu’est-ce qu’une biorégion ?" de M. Rollot et M. Schaffner présenté par Christine Findal
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Qu’est-ce qu’une biorégion ?
De Mathias Rollot (architecte et enseignant-chercheur) et Martin Schaffner (ethnologue et traducteur), éditions Wildproject, 2021
Ces éditions spécialisées en écologie sont présentes à Marseille depuis 2009.
Elles explorent les révolutions écologiques en les mêlant aux questions décoloniales et féministes.
Librairie Wildproject 12, Bd National 13001, du mardi au vendredi de 14 h à 19h,
Tél. 09 87 34 92 22 - www.wildproject.org
Nous ne savons pas où nous habitons : d’où vient l’eau du robinet, où partent les déchets, quels types de sols sous nos pieds, quelle est la phase de la lune, quels sont les légumes de saison et quand ils se plantent, etc
Parler de biorégion, c’est se demander où et avec qui nous vivons, réapprendre où nous sommes, pour cohabiter avec d’autres vivants.
Une biorégion est un lieu de vie où toutes les parties prenantes s’efforcent de vivre ensemble de façon pérenne.
En repartant des bassins-versants, des microclimats, des sols, de la flore et de la faune, nous adoptons un autre regard sur notre territoire.
Ce petit livre est une conversation entre les deux auteurs et se veut une boîte à outils théorique tournée vers l’action.
Désurbaniser l’imaginaire
La notion de biorégion, née dans les années 70, reste ouverte. Elle recoupe une réalité physique et un récit collectif.
La planète Terre est composée d’une multitude de biorégions, au sein desquelles on trouve des espèces animales et végétales particulières, un climat dominant, des types de sols caractéristiques et des modalités d’installations humaines particulières.
Le premier critère à considérer pour définir une biorégion, c’est le bassin-versant : le territoire d’un fleuve. Sur cette base vont être discutés les autres critères, naturels et culturels, à prendre en compte pour la cartographie : il ne s’agit pas d’un “ terroir”.
(NDLR il y aurait pourtant bien des recoupements entre les deux, que l’ouvrage n’aborde pas)
Une carte biorégionale décrit à la fois (c’est son intérêt et son ambiguité) des écozones assez classiques et des terrains de vie à reconstruire, en accord avec leurs écosystèmes, dans une démarche de résistance au mode de vie actuel : la description d’un territoire géographique et une philosophie de vie.
Les biorégions sont donc aussi à réinventer, pour en faire collectivement un outil afin de retrouver des modes de vie “ réhabitants” (plus terrestres, plus écocentrés)
Mais le “ réhabitant” n’en fait pas un métier, même s’il se tourne vers la permaculture ; ce n’est pas un survivaliste, ni même forcément un autosuffisant.
En milieu urbain, les initiatives d’agriculture urbaine et certains pans de l’économie sociale et solidaire vont dans ce sens. Se réancrer dans un lieu, participer localement à une communauté, passer plus de temps dans le réel que dans le virtuel...le début d’une philosophie.
A l’inverse, les milieux totalement artificiels et enfermants (les grandes métropoles) nous transforment, c’est en quoi ils sont dangereux.
Il est probable que le biorégionalisme passe par des formes de désurbanisation (car l’urbanisation façonne tous les modes de vie, même ceux de la ruralité) sachant que toutes les situations sont singulières.
De nombreux biorégionalistes ont été précurseurs dans les efforts d’invention du concept de ville verte.
La question de la densité urbaine (certes souhaitable d’un point de vue écologique, social, énergétique, économique) est complexe, du fait de seuils élevés de destruction des milieux et de perte de contact avec le reste du vivant.
(NDLR et de la supportabilité de la surpopulation dans les lieux publics et les quartiers populaires, question non abordée)
On trouve une double tendance dans le biorégionalisme :
- - le retour à la terre et aux cultures autochtones, sur le local et sur une forme de décroissance ;
- - et une partie plus artistique, radicale, libertaire, susceptible de s’hybrider avec d’autres mouvements et d’ouvrir de nouveaux possibles : double tendance qui suppose un localisme écologique aux antipodes de la pensée réactionnaire.
Les pays qui se sont le plus emparé du biorégionalisme sont : Les Etats-Unis, le Canada, l’Angleterre et l’Italie.
Les fondateurs américains intégraient la parole amérindienne dans leurs réflexions, en montrant qu’il y avait là une sagesse à réapprendre.
En Italie, certains groupes prennent clairement position en faveur d’un accueil inconditionnel des exilé.es ; de fait, une grande part de la théorie biorégionaliste va vers l’idée d’une société ouverte et multiculturelle.
Nous avons tous besoin d’identité (= ce qu’on a en commun), de se rassembler autour de figures identitaires, mais ces figures peuvent être naturelles (rivières, bassins-versants, forêts...) ce qui permet de protéger du repli sur soi, l’idée de relocalisation : une potentialité antiraciste de l’écologie, qui reste à développer.
(...)
La biorégion des oliviers
Des exemples sont donnés en termes d’études de cas, et notamment la biorégion des oliviers.
Pour rappel, (Fernand Braudel, la Méditerranée, 1977) la Méditerranée est un très vieux carrefour ; à l’exception de l’olivier, de la vigne et du blé, les plantes sont presque toutes nées loin de la mer.
Cette “ mer au milieu des terres” concentre une incroyable diversité de réalités aquatiques et terrestres réunies dans une zone écologique singulière : l’aire de répartition des oliviers.
A partir du Nil et de la Mésopotamie, la circulation des vivants et des choses s’est organisée, favorisée par le nomadisme, la transhumance, les caravanes.
La navigation s’y est ajoutée et la Méditerranée est devenue un ensemble de routes de mer et de terre, et un creuset culturel portant une mosaïque de façons de vivre, un espace millénaire de brassage permanent, symbolisé par la relation humains-oliviers.
Sa domestication a en retour domestiqué les humains, favorisant la sédentarité agricole : une coévolution.
Cependant, cette région est menacée : déforestation, réchauffement, pollution ; ce haut-lieu de biodiversité est considéré à l’échelle mondiale comme un lieu à protéger en priorité, l’opportunité de réinventer des façons d’habiter écologiques et sociales, un enjeu tout à fait compatible avec la vision biorégionale.