Le livre du mois de juin : Depuis toujours nous aimons les dimanches de Lydie Salvayre, présenté par José Rose
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Lydie Salvayre, Depuis toujours nous aimons les dimanches, Seuil, 2024, 16,50 euros
Vous aimez les brûlots, les pamphlets ? Vous appréciez les cris de colère et de rage, les cris du cœur blessé aussi ? Alors, lancez-vous dans le dernier texte de Lydie Salvayre.
Ne vous laissez pas impressionner par le bandeau rouge de l’éditeur qui attire le chaland nonchalant par un tonitruant « Ne travaillez jamais » (c’est Guy Debord tout de même) nous faisant craindre le nième livre sur la fin du travail. Et la quatrième de couv met en avant la paresse qui a ses titres de noblesse depuis Paul Lafargue. Pas vraiment le genre de « l’amie Salvayre » qui travaille ses textes pour notre grand plaisir et dont la paresse doit être toute relative, au mieux, dominicale.
Cela lui permet tout de même d’écrire de bien belles pages sur la paresse, cet art, cette philosophie, ce « parfait insouci du temps » (14), cette pratique aux multiples formes (85 et s.), cet « autre nom de la sagesse » (89).
Et puis arrivent en page 24, les « apologistes-du-travail-des-autres qui se croient maîtres du monde » et qui « pensent-que-pour-le-marché » (33).
Tout s’éclaire. Ce n’est pas le travail en soi qui est mis en joue, c’est le travail contraint, contrôlé, empêché, exagéré (45). Ce n’est pas le travail mais l’emploi subordonné, plus précisément encore le salariat. Pas l’activité de travail car elle est aussi une activité de pensée – et notre amie tient plus que tout à la pensée – mais le travail machinal.
Bref, l’horizon n’est pas la fin du travail mais une place nouvelle du travail dans nos vies et le souhait qu’il « fasse place au plaisir, au désir, au goût de faire et d’inventer » (51). Dès lors, l’envers du travail contraint, ou plutôt des contraintes du travail, n’est pas la paresse mais l’exercice de sa liberté au travail et à son égard. Il s’agit donc « d’abolir les facteurs les plus asservissants : la hiérarchie, le management, le lien de subordination à l’employeur, etc » (121). Et le lecteur saura décliner cet etc.
La cible se précise. Elle en cache même une seconde, celle des forces qui déforment le travail. N’ayons pas peur des mots, l’ennemi est le capitalisme et son cortège de productivisme, d’activisme, de consumérisme qui nous empêchent de vivre pleinement notre vie.
C‘est un vrai stand de tir (et de rire dirait l’amie). Ça rafale tous azimuts et on se régale jusqu’à la chute. Parfois c’est trop et les petites natures pourraient en être exaspérées. Mais on suit volontiers l’amie Salvayre dans son tourbillon de mots. On a envie de l’appeler Lydie quand elle se vilipende entre parenthèses ou quand l’illuminent des éclairs d’optimisme et la conviction que la parole peut aussi changer la face sombre des choses. On se laisse secouer par son lyrisme - penser « c’est n’obéir à rien ni à personne mais seulement au vrai » (23) – par ses flots de joyeux jurons –« ces dépouilleurs de pauvres, ces cleptocrates, ces spoliateurs qui ont pignon sur rue » (28) – par ses slogans – « Travailler moins pour lire plus » (66) - par ses grandes déclarations - « nous aimons nous enivrer de vin, de poésie ou de vertu jusqu’à ce que descende en nous une paresse immense » (66) – par ses formules ronflantes - « Pleinement vivants dans un destin commun » (71) – et même par ses répétitions répétées.
Le rythme donne parfois l’asphyxie mais il suffit de lever la tête pour reprendre un peu d’air en regardant les étoiles. Et on replonge aussitôt car on aime ce flot, on se délecte de ces formules, ce « grand marché de la consolation » (59) par exemple.
Certes, on pourrait discuter le point de vue, regretter que n’apparaisse pas suffisamment l’ambivalence du travail – à la fois peine et plaisir, lieu d’exploitation et potentiel d’émancipation –mais ce n’est pas un essai (voir un de nos précédents compte-rendu du livre « Le futur du travail »), juste un texte bien senti et jouissif. Et si on la trouve parfois « altière » (c’est elle qui le dit) c’est pour la bonne cause.
Alors, on se laisse prendre par les mots évoquant la douceur de vivre. On se laisse convaincre par les arguments méthodiquement alignés, qu’ils soient écologiques, philosophico-littéraires, psychanalytiques, éthologiques, évangéliques et finalement rabelaisiens. Et on se laisse emporter par le projet utopique et ses auteurs de référence : Morris, Fourier, Blanqui et bien d’autres.
Un texte à dire à la fin d’un repas bien arrosé entre amis rebelles et joyeux, qui vaudra mieux que le commentaire stérile de la dernière saillie d’un quelconque sous-ministre ou d’un roquet médiatisé. Bien pensants, modernistes à tous crins et réformistes mollassons, s’abstenir.
Un texte riche de coquineries glissées sans coquetterie, qui n’a rien d’une coquecigrue, plutôt un cri du coq qui entend nous réveiller, noircir les yeux avides de vigoureux coquards, annoncer les lendemains chantant devant une coquille qui s’ouvre. Et si ça ne plait pas, on s’en tamponne le coquillard. Vive les coquelicots !