Le Livre du mois de juin : "LE FUTUR DU TRAVAIL" de J.S. Carbonell, présenté par José ROSE

mardi 31 mai 2022
par  MEAD Christine
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"LE FUTUR DU TRAVAIL" de Juan Sebastian CARBONELL, éditions Amsterdam, février 2022, 176 p., 12 euros

Encore un livre sur le travail !
Oui, mais un petit livre qui aborde une grande question, - le futur du travail - à partir d’un point de vue engagé et très différent des livres à succès sur la supposée fin du travail et le triomphe absolu des nouvelles technologies.

L’auteur reprend des débats classiques sur le travail, les documente en regardant le passé et quelques pays, ce qui lui permet de souligner les permanences structurelles et aussi les singularités contemporaines. Il illustre cela avec de nombreux exemples de métiers - caissières, livreurs, agents des plateformes – et aborde des sujets d’actualité comme le revenu universel, la démocratisation du travail ou le développement technologique. Il fournit ainsi un cadre de réflexion pour le débat public et des pistes pour la lutte. Et c’est un texte à débattre, notamment concernant des propositions parfois un peu volontaristes et sur les ambiguïtés terminologiques, le travail étant utilisé dans des acceptions – emploi ou activité, contenu du travail ou reconnaissance - que l’on gagne à distinguer.

« Le but de ce livre, écrit l’auteur, est de revenir sur les idées reçues quant à l’avenir du travail, de montrer que celui-ci est loin de disparaitre et même que, par bien des aspects, le futur du travail ressemble à son passé » (p. 17). Il reste en effet central, tant du point de vue anthropologique que social, mais il se transforme en permanence. L’objectif est alors de « montrer comment s’articulent aujourd’hui le travail et la société, afin d’ouvrir un débat sur les voies de l’émancipation du travail » (p. 18).

Le premier chapitre - « La fin du travail n’aura pas lieu » - annonce clairement la couleur. « Le travail continue d’être une activité nécessaire à la société », écrit l’auteur en page 22, et « plus qu’à une fin du travail, on assiste désormais à l’apparition d’un nouveau prolétariat du numérique » (p. 24). « L’automatisation ne provoque pas qu’une disparition de l’emploi, mais une transformation de celui-ci » (p. 36) : et si les nouvelles technologies suppriment des emplois, elles « contribuent à intensifier le travail, à déqualifier les salariés quand ce n’est pas à les discipliner et à les surveiller » (p. 22). Pour autant, « le but des employeurs n’est pas forcément de remplacer des travailleurs par des machines mais de favoriser la fluidité du process de travail et d’augmenter la productivité » (p.37). Et l’investissement couteux dans l’innovation n’est pas toujours l’option la plus rentable au regard des possibilités de surexploitation du travail.

Le chapitre suivant suggère une analyse de la précarité qui interroge les discours dominants. « Certes, la précarité ne cesse de progresser, écrit-il. Pourtant, elle est loin d’avoir submergé le salariat stable, qui reste la norme dans la plupart des pays riches » (p. 60). L’auteur conteste ainsi la notion de « précariat » qui dénie finalement l’existence d’une classe ouvrière et d’un prolétariat qui existe pourtant bel et bien dans les pays étudiés. Pour autant, il ne s’agit pas de négliger les effets néfastes de la précarité et les risques politiques que cela génère, mais il faut aussi analyser les transformations du salariat stable et ses formes de déstabilisation, ce qui conduit à considérer les précaires comme une fraction du prolétariat dont les intérêts convergent.

Le chapitre 3 évoque l’émergence de nouveaux prolétaires numériques qui subissent un contournement du droit du travail, une dégradation des conditions de travail avec le juste-à-temps, les cadences infernales et les horaires impossibles mais qui commencent aussi à s’organiser collectivement. Pour autant, ce capitalisme de plateforme qui impose de faibles rémunérations, une instabilité de l’emploi, une dispersion de la main-d’œuvre et un report du risque sur les travailleurs eux-mêmes, n’est sans doute pas le futur du travail car il se heurte à des obstacles économiques - difficultés à attirer et fidéliser la main-d’œuvre -, socio-politiques – surexploitation de la main-d’œuvre pas forcément propice à la réalisation de profit - et organisationnels avec une dégradation de la qualité du service.

Le chapitre 4 approfondit cette question du travail du flux caractéristique du capitalisme logistique dont on met généralement en avant les dimensions techniques (l’automatisation) alors qu’il est aussi pourvoyeur majeur d’emplois. En effet, dans ce secteur très concurrentiel et aux marges faibles, les entreprises « hésitent à investir massivement dans des robots trop couteux et à tout automatiser » dans la mesure où elles peuvent disposer d’une « vaste main-d’œuvre peu qualifiée et mal rémunérée qui peut accomplir le travail tout aussi bien que les robots  » (p. 130) au risque tout de même qu’elle s’organise, comme l’ont récemment montré quelques grèves dans ce secteur.

Le livre se termine par une réflexion sur les réponses politiques possibles à cette « crise » du travail. Il examine ainsi de façon critique trois types de propositions récentes. Qu’il s’agisse de « démarchandiser le travail » en décorrélant le travail de l’emploi et du salariat par la mise en place d’un revenu universel, de « démocratiser le travail  » en répartissant autrement le pouvoir dans l’entreprise ou de « se libérer du travail en tant que tel », ces propositions «  restent prisonnières de l’horizon restreint que représente l’économie capitaliste  » et n’envisagent que des réformes ou des solutions individuelles alors qu’il s’agit tout à la fois de « libérer la vie du travail et libérer le travail de la domination capitaliste » (p. 147). On laissera aux lecteurs et lectrices le soin d’entrer dans le détail de l’analyse et des arguments généralement avancés à ce propos.

José Rose, fin mai 2022


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