Le livre du mois de juin : Parasites de Nicolas Framont présenté par José Rose

vendredi 2 juin 2023
par  MEAD Christine
popularité : 6%

Nicolas Framont, Parasites, Les liens qui libèrent, 2023, 19,50 euros

Enfin, un livre qui ne mâche pas ses mots et débusque les parasites dans les meilleurs quartiers et les palmarès des plus grosses fortunes de Challenge. Enfin, des masques de la respectabilité bien-pensante qui tombent. Enfin, des portraits à cent lieux des storytelling flatteurs. Et voici Bolloré, Saadé et Pouyané, Leclerc et Lemaire, Zemmour et Enthoven habillés pour l’hiver. Enfin, la lutte des classes à visage inhumain et les idéologues honteux qui cirent les pompes des milliardaires moins précieux que ridicules. Quand on aime le théâtre de marionnettes, on ne peut que se régaler.

Tel est le brûlot lancé par un journaliste un peu sociologue et vigoureux pamphlétaire, le rédacteur en chef de Frustration magazine, visiblement en colère, qui accumule anecdotes signifiantes, chiffres précis et formules aiguisées dans un « ouvrage de développement collectif ».

Les chapitres - anatomie, toxicité, symptômes, remèdes - déclinent l’analogie et mettent en scène les fauteurs de nos maux.

  • D’abord, la bourgeoisie qui réunit «  tous ceux qui ont du patrimoine financier et immobilier productif » et qui dominent dans plusieurs sphères à la fois (privé, public, médias) et n’existent que par parasitisme économique et politique.
    A ses côtés, la petite bourgeoisie des notables, petits patrons et professions libérales et la sous-bourgeoisie des artistes, idéologues et cadres supérieurs, en « indispensable courroie de transmission ». Le trio infernal - les affaires, la politique et les médias, passe-moi les plats, j’te passe le caviar – est campé. Dévoilé même car derrière les sagas répétées à l’envie de la compétence et du talent se cachent de plus en plus mal, les simples histoires d’héritage et d’exploitation.
  • Et tout ceci marche grâce à notre candeur et à l’inépuisable chantage à l’emploi car tout est permis quand on veut restaurer la compétitivité et donc (?) créer des emplois : « c’est ça que l’on veut non ? ». tandis que, dans le même temps, s’imposent la bureaucratisation du travail, «  la féodalisation des relations de travail », « la montée en absurdité de tous les métiers ». Car les parasites créent des profits à coups sûrs et répétés, mais pas des emplois, à moins de passer sous silence ceux qu’ils détruisent et les ponctions fiscales sur lesquelles ils prolifèrent.

Il convient donc, c’est le parti-pris de l’auteur, de désigner concrètement l’adversaire. Mais aussi d’éviter les fausses pistes et les mauvaises réponses. Celles des bons élèves – « quand on veut on peut », « nos dirigeants veulent avant tout notre bien » - celles des conspirationnistes – « nous sommes manipulés », « ils ont un plan ». Mieux vaut la piste sociale : «  l’histoire de l’humanité, c’est l’histoire de la lutte des classes  ». Derrière les talents et l’excellence supposées de ces « héros » qui affichent talents, gloire, beauté et amour, la réalité est toute autre : « réussite obtenue…sur notre dos », « héritage, prédation et exploitation ». Derrière la mise en scène glamour et les images pieuses, se révèle la toxicité et ses multiples visages : connivence avec les médias et les politiques, haine de la démocratie, réécriture de l’histoire.

  • Et les symptômes concrets ne manquent pas : grande dépossession du travail illustrée par l’exemple d’EDF, grande subvention – privatiser les bénéfices et socialiser les pertes, on connait la chanson - grande complexification des dispositifs et grande destruction illustrée par la pollution croissante.
  • Reste à trouver les remèdes et cela ne va pas de soi. Comment « éteindre les bruits parasites  » qui empêchent de penser clairement ? « Pourquoi les gens ne se révoltent-ils pas ? ». Comment éviter les fausses solutions proposées par les idéologies néo-libérales, identitaires ou souverainistes ? « Ma grille de lecture, écrit l’auteur, est parasitaire : elle décrit la réalité du stade de la guerre des classes où nous nous trouvons ». Et il propose finalement plusieurs remèdes aux allures de mots d’ordre simples : «  (ré)apprendre la fierté sociale », « sortir du cercle vicieux de la défiance mutuelle », «  accorder le bénéfice du doute à nos semblables (et pas à ceux qui nous gouvernent) », « admettre que nous ne sommes pas dirigés par des gens intelligents ou audacieux mais par des gens qui en possèdent les titres et l’apparence  », « apprendre le mépris de classe (bourgeoise)  », « cultiver l’espoir (malgré tout) », « apprendre le rapport de force (et renoncer – temporairement – au dialogue)  » ; « reconstruire une morale de classe contre la morale bourgeoise » ; "organiser la classe laborieuse (sans donner tout le pouvoir aux sous-bourgeois) ».

Nous voilà parés pour le printemps.

Un livre qui fait du bien et qui ouvre, malgré tout, des perspectives. Un livre facile qui déborde parfois – les égratignures de Ken Loach par exemple –mais dont on a besoin quand prolifèrent la presse docile et les livres de complaisance. Un livre qui entretient notre colère, peut conforter notre engagement et qui nous régale jusqu’à l’épilogue en forme de récit d’anticipation. Une fable.


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