Le Livre du Mois de mai : « MINUIT DANS LA VILLE DES SONGES » de René Frégni, présenté par Gérard Perrier
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"Minuit dans la ville des songes" de René Frégni, Editions GALLIMARD, janvier 2022
L’angoisse est dans nos esprits : "guerre", "bombes", "massacres" en Ukraine sur ordre d’un dictateur aux yeux vitreux. Elle est dans nos émotions. Et en plus, le rapport du GIEC de 2022 sur les dangers majeurs de la crise climatique pour toute la planète, de l’appauvrissement sans fin du plus grand nombre à côté des paradis fiscaux d’une classe sociale préoccupée uniquement d’elle-même : 85 personnes dans le monde possèdent autant d’argent que la moitié la plus pauvre de l’humanité ! …
On ne s’évade jamais du tragique de l’histoire. Le titre du livre lui-même est le glas d’une cloche mélancolique, celle des années de galère de René Frégni. Sa vie fut un chaos : vivre à l’étranger sans un sou pour échapper à la justice militaire qui lui reprochait d’avoir déserté le service militaire obligatoire alors. Rentré en France, il bataille dur pour se faire un métier en passant notamment par l’animation d’un atelier d’écriture à la prison des Baumettes à Marseille où il est né, dans les quartiers Nord, les plus pauvres de la ville. Puis infirmier durant 7 ans à l’Hôpital psychiatrique Edouard Toulouse de Marseille, dans les années 70, « années d’amour, de délire et d’amitié » comme il l’a écrit dans « Les chemins noirs », son premier roman. Je l’ai bien connu alors, j’étais prof de lettres au lycée du Rempart (Marseille 7ème) : René et moi étions proches, dans les réunions de la rue Pastoret à la Plaine. Révoltés, rêvant et agissant pour une révolution mondiale qui restât un rêve ! Et on en est au cauchemar des idées de l’extrême droite partout à présent, cinquante ans après Mai 68 !
Proche des parias, amoureux de ce qu’y a de plus humain dans les êtres, René Frégni a rencontré les livres, lui le mauvais élève ! Che Guevara prêté par un copain et d’autres ouvrages par un aumônier charitable. De Camus à Dostoïevski, de Beckett à Giono : il s’évade du monde et son œuvre littéraire autobiographique saute de lieu en lieu pour abriter la fuite de son auteur. Les livres sont des asiles momentanés où il se refugie pour ne pas être repéré.
Son dernier livre est un hymne à la littérature : ce que les livres nous font, comment ils fabriquent notre imaginaire, notre personnalité, parfois changent notre vie.
« Minuit dans la ville des songes » un roman qui nous livre avec émoi et délicatesse les impressions les plus subtiles que l’on peut sentir au contact de la nature et aussi qui évoque la douleur, la cruauté des humains. Lire, lire est une évasion possible, une manière sans doute unique d’avoir accès à la partie belle du monde. L’art de l’écriture, de la contemplation. « Il y a quarante ans que j’écris, que je marche, que je fends du bois, que je regarde respirer les saisons. Je vis avec trois sous mais je possède la vraie richesse, la liberté de mes gestes, mes jours dans la lumière… sur les hauteurs de Manosque... je n’ai besoin que de silence et de lumière ». (Blog de René Frégni, La Provence 17.05.2020).
René Frégni vous raconte son histoire mais en réalité, il vous offre avec beaucoup de générosité, la vôtre. Car si son parcours est particulier, il vous met, vous lecteur, face à votre parcours, votre voyage vers les mots, puisque les livres vous sont essentiels, indispensables, qu’ils vous tiennent debout contre vents et marées, qu’ils sont votre phare dans la tempête.
Ce livre est solaire : il fait du bien. René Frégni a une capacité d’émerveillement dont Belinda Cannone dans son beau livre « S’émerveiller » (Ed .Stock, 2019) décrit la dimension secrète et poétique du monde, celle du pur présent : un vrai remède contre le nihilisme et l’enténèbrement ! Une écriture sobre, sensuelle, bouleversante qui donne à sentir la mer, le soleil, les paysages.
Les femmes sont aussi très présentes, les servantes d’auberge longuement contemplées, ou Isabelle, « la fiancée des corbeaux », auprès de qui l’écrivain trouve paix et bonheur.
Qu’il s’agisse de raconter la mort d’un chat ou la surprise d’entendre une femme qui jouit dans la maison voisine, à chaque page de ce livre vibre une émotion simple et sincère.
« J’aime partir chercher des mots sur les chemins, je fais un pas, je trouve un mot, un autre pas… J’avance dans des forêts de mots, je me perds dans des poèmes qui sentent le champignon, la liberté et l’aubépine.
Il y a un monde dans chaque mot.
Chaque matin, avec mon bol rouge et l’odeur du café, j’ouvre le cahier des souvenirs et j’entre dans le pays bleu de la mémoire.
Les mots de ma mère dansent autour de moi, comme la poussière dans le soleil d’une chambre.
Je lui parle comme dans notre jardin, notre cuisine, aux confins de Marseille. Elle me regarde si tendrement que nous sommes immortels.
Écrire c’est aimer, sans la peur épuisante d’être abandonné. »
René Fregni