Le livre du mois de novembre : Comprendre les inégalités de Louis Maurin, Observatoire des inégalités, présenté par Christine Findal
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Comprendre les inégalités
De Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, fondé à Tours en 2003
Edition Observatoire des inégalités,
L’auteur, fondateur et engagé dans l’Observatoire depuis 20 ans, cherche à donner des repères pour observer, mesurer -avec les bons outils- et analyser les inégalités, dans une démarche scientifique, donc distanciée, mais aussi pour permettre au lecteur de contribuer au débat avec des arguments solides.
La première partie étant la plus importante (de quoi parle-t-on ?) c’est elle qui sera développée, sélectivement, ici.
Définir
On parle d’inégalité quand un individu ou un groupe détient des ressources, exerce des pratiques ou a accès à des biens et services socialement hiérarchisés.
Le champ des inégalités est bien plus large que celui des revenus.
S’agissant des catégories de population, l’observatoire en retient quatre : le sexe, l’âge, le milieu social, l’origine, (le handicap ou l’orientation sexuelle sont traités en tant que sous-ensembles) et les croise avec les domaines retenus (revenus, éducation, emploi, lien social et politique, conditions de vie) dans toutes les dimensions ; puis analyse les relations entre ces domaines et ces catégories et tente de démêler leur poids respectif.
Ces choix sont objets de critiques et de débats, car ils influencent l’analyse, comme tout choix de critères.
Pour rappel, que sont les CSP ? (catégories socio-professionnelles )
C’est un classement en ensembles cohérents à partir du type de métier, réalisé par l’INSEE, qui utilise trois principaux critères : profession, statut (public/privé) et position hiérarchique dans le travail.
Les non-actifs font l’objet de deux catégories : retraités et divers (dont les étudiants) déclinées en sous-catégories.
L’observatoire a adopté les catégories “ français” et “étrangers”, dans l’attente d’un meilleur vocabulaire qui puisse rendre compte des discriminations liées à l’origine ethnoculturelle, expression jugée inaccessible au grand public : ces catégories sont donc en cours d’évolution.
La hiérarchisation des inégalités : (”un pauvre ici, c’est un riche ailleurs”)
Il n’est pas superflu de rappeler que le seuil de pauvreté français vaut...660 fois le seuil appliqué aux plus pauvres dans le monde ; pour autant, la situation des plus pauvres dans les pays occidentaux ne doit pas être occultée :
– la misère existe au sein des pays riches ;
– la norme qui définit l’exclusion est relative : le seuil de pauvreté est défini en proportion du niveau de vie médian
– défendre un modèle d’égalité, c’est fixer des objectifs à atteindre partout.
Discrimination ou inégalité ?
La première est une différence de traitement interdite par la loi ; toute discrimination est une forme d’inégalité.
La loi décrit 25 critères de discrimination (cf le site defenseurdesdroits.fr)
Longtemps sous-estimées, les discriminations (liées au genre, à l’origine...) ont de nos jours tendance à prendre le pas sur la lutte contre les inégalités, ce qui masque les mécanismes sociaux qui les produisent : or, les deux sont à combattre.
Le vocabulaire
Le mot pauvreté vient du latin paucus : peu, celui qui a peu.
La notion d’exclusion sociale est développée dans les années 70 (les exclus, René Lenoir, 1974)
Celle de désaffiliation, dans les années 80, avec le sociologue Robert Castel, démontre le processus de dégradation des liens sociaux.
Celle de disqualification sociale, avec le sociologue Serge Paugam, met l’accent sur la stigmatisation des plus défavorisés.
La précarité décrit le statut au travail, mais aussi l’instabilité des relations et l’absence de vue sur son avenir.
La vulnérabilité et la fragilité révèlent un risque de basculement vers la pauvreté, mais attribuent aux caractéristiques des individus, la responsabilité de leur situation.
L’assistance, à l’origine le devoir vis à vis des plus faibles, est devenue un terme péjoratif désignant une dépendance volontaire vis à vis de la collectivité.
Les divisions spatiales et temporelles
Les moyennes nationales cachent des situations très différentes au niveau territorial, de la commune ou de l’arrondissement -en ville- voire du quartier ; même le découpage géographique le plus fin (îlot regroupé pour l’information statistique) recouvre des réalités sociales différentes.
La densité de population n’est pas assez prise en compte : les revenus les plus faibles se trouvent plus souvent au centre ville que dans les zones rurales.
L’effet “ territoire” existe, mais il demeure secondaire par rapport aux inégalités liées à la composition de la population.*
Le temps
Les séries longues (plus de 3 ans) permettent de mieux décrire les évolutions en profondeur ; sans oublier la courbe suivie par un phénomène donné, et pas seulement le point de départ et celui d’arrivée.
En effet, les études longitudinales, qui permettent d’explorer un comportement dans le temps, restent rares.
Age et génération
L’âge situe une personne à un moment donné de sa vie ; la génération (ou cohorte) la situe par rapport à une année de naissance ; elle peut regrouper plusieurs années.
Comme le niveau de vie, l’âge est à replacer dans un contexte historique, mais aussi social : à l’intérieur d’une génération, les moyennes masquent de grandes différences.
L’ouvrage s’attache ensuite à la mesure :
– comment en faire bon usage ;
– mesurer les inégalités de niveau de vie ;
– les inégalités non monétaires ;
– au décryptage du débat, en particulier autour de “ l’égalité des chances” et de la question de la fabrication des représentations collectives (comment nous fait-on admettre les inégalités ?)
En conclusion :
Comprendre les inégalités suppose une culture de la méthode, afin de les analyser et non de s’en tenir à les nier ou les dénoncer, exige de décrypter les discours : comment les inégalités sont déguisées en différences pour les justifier, comment la domination est assimilée, voire défendue par les dominés, implique de réfléchir au fonctionnement d’ensemble de notre société.
Si l’égalité des chances est une condition nécessaire, elle n’est pas suffisante ; quant à l’objectif poursuivi, le modèle de société, il est à interroger.
Face à un monde où fausses nouvelles, rumeurs, propagande ...ne cessent de circuler, la démarche est valable pour tous les phénomènes de société.
Or, il existe de nombreux organismes qui constituent des lieux d’expertise et d’information : à nous d’utiliser les outils à notre disposition.
* NDLR : cet argument me semble particulièrement discutable au vu de l’organisation très centralisée du pays, de la déprise des services publics en milieu rural, du coût exponentiel du transport, de la pression immobilière exercée sur des territoires ruraux conquis par des citadins à hauts revenus, etc