Le livre du mois de septembre : "Le réveil de l’utopie" par José Rose
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Jean-Louis Laville et Michèle Riot-Sarcey, Le réveil de l’utopie, Les éditions de l’Atelier, 2020, 13,90 €.
Debout, camarades ! Le « réveil de l’utopie » a sonné. Frottez-vous les yeux si vous n’en revenez pas. Et surtout tendez l’oreille car sonnent, de par le monde, les clochettes de l’émancipation. Bientôt ce sera une fanfare. Ecoutez les luttes d’aujourd’hui, observez les expériences qui se multiplient et ne cherchez pas à leur donner un sens global. Levez-vous pour vivre. Et souvenez-vous des luttes du passé pour y puiser votre énergie.
Tel est l’appel vibrant lancé par J.L. Laville et M. Riot-Sarcey, l’un socio-économiste et l’autre historienne, dans un bref essai incitant à dépasser le scepticisme pour s’engager dans des luttes concrètes, remonter aux sources et analyser le système qui nous gouverne, nous détruit et entend même nous priver d’espoir.
Le premier chapitre capte les signaux de ce « nouveau monde en gestation », cette « brèche expérimentale, collective, inspirée ou non de théories critiques, édifiée par des hommes et des femmes en rupture avec la société d’ordre » (16). Ainsi des ZAD, ces lieux « référence d’un vivre ensemble entre gens différents », ces lieux expérimentaux et en débat permanent. Et cela ne va pas de soi car « partout s’étend un mouvement de balancier entre rébellion et répression » et « le découragement succède à l’enthousiasme à peine retombé » (20).
Pour comprendre ce mouvement, un détour théorique s’impose. C’est l’objet du chapitre 2 qui mesure « l’emprise néolibérale et ses limites ». Revenant aux fondateurs (Hayek, Friedman), les auteurs décortiquent « le rêve de l’individu-entreprise, placé hors de toute médiation collective ». « Pour endiguer l’indiscipline des peuples, le néolibéralisme veut remettre en avant la discipline ».
Son projet « loin de préserver le laisser-faire, consiste à restructurer entièrement la société en s’appuyant sur les autorités publiques acquises au marché » (36-37). Au niveau mondial, coexistent ainsi « une violence fondatrice au Sud, un réformisme brutal au Nord ». « Sous l’éloge de l’individu-roi, tour à tour entrepreneur et consommateur, le récit qui s’installe est celui d’un mariage heureux entre liberté et capitalisme » (41).
Et ceci a des conséquences majeures : dérégulation, malversations, innovations technologiques sans fin. Et cela génère des ripostes tels les grands rassemblements du Forum social mondial, les occupations des places et les insurrections sur tous les continents. Et cela provoque une « contre-offensive « humaniste » néolibérale » (54). Modification du discours de justification, dépolitisation des enjeux économiques, émergence du social business : « une nouvelle forme de capitalisme » au service des « besoins les plus pressants de l’humanité » arrive ainsi sur le marché de l’illusion et du mensonge (56). Et des mouvements refusent « d’être anesthésiés par cette néophilanthropie », cette supposée « moralisation du capitalisme » (63). Et le pire peut advenir avec un regain d’autoritarisme aux deux visages, celui de la technocratie « persuadée de détenir la vérité » et celui plus radical de la guerre et des « politiques de la haine ».
Le troisième chapitre revient sur les premières décennies du XIX° siècle « marquées à la fois par la misère et le désir de liberté » avec l’émergence des secours mutuels, des coopératives, des sociétés fraternelles, populaires, d’éducation et de résistance, du « socialisme utopique ».
Les pauvres réclament la liberté réelle et le mot « prolétaire » inquiète les autorités. La répression se renforce, le progrès humain est rabattu sur le développement économique et la démocratie, « vidée de son sens sous sa forme représentative », compte moins que le décollage industriel. Les notables entendent même « détruire la fierté qu’ont tirée de l’action collective les travailleurs de tous les pays » (81). « Tout est ordonnancé pour que les plus démunis renoncent volontairement aux promesses des Lumières » (90). Et « le peuple est tenu à distance de la sphère publique ». Et rien ne peut arrêter « l’expansion d’une servitude constamment reconduite », « entraver cette marche irrésistible vers une soumission généralisée sous des discours libérateurs dont la publicité s’est emparée ».
Mais l’espoir n’est pas mort car on assiste aujourd’hui au « retour de l’émancipation ». Le dernier chapitre incite alors à « participer à la réflexion critique à partir de l’action des populations qui expriment leur volonté d’accéder à une liberté vraie ». « S’émanciper des différentes formes de domination nous amène à déroger à la tradition d’un combat qui s’est longtemps satisfait de la lutte contre l’exploitation et l’aliénation, en oubliant l’émancipation » (105).
Reste à « dévoiler les mécanismes de ce processus d’assujettissement, tout en décryptant le langage mensonger des instances légitimatrices du "gouvernement des hommes" » (108).
Reste à se mettre « à l’écoute des expériences émancipatrices et collectives » partout où elles se développent.
Reste à « renouer avec ce mixte d’entraide, de lutte et de production économique typique de l’associationnisme pionnier », à « retrouver la voie de l’émancipation réelle » en « redonnant vie aux expériences du passé occultées », à « construire peu à peu des alternatives démocratiques où chacun sait ce qu’il veut et fait ce qu’il peut en étant maître, si possible, de son devenir individuel inséparable du devenir collectif » (132), à « se débarrasser du sentiment d’impuissance en prenant l’initiative d’une vaste réflexion collective (…) L’heure est venue d’inventer une véritable alternative en constante édification, non plus empreinte d’idéologie mais forte des expériences en commun, qui nous aide à penser autrement la société future et redonne à l’humain sa primauté » (137).
Oui, nous avons de bonnes raisons de sortir de nos insomnies peuplées de craintes et de désarroi et d’éviter nos siestes ramollissantes. Nous avons besoin de nous retrouver pour comprendre, agir et espérer. « L’horizon des possibles devient accessible si nous commençons par voir ce qui se passe et entendre ce qui se dit, partout dans le monde » (105).
Oui, « un autre monde est possible ».
José Rose, septembre 2021