Le livre du mois de septembre : Respire de Marielle Macé présenté par José Rose
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Marielle Macé, Respire, Verdier 2023, 8,50 euros
Bientôt la rentrée. On a respiré un peu cet été après une année étouffante à tous égards et que l’on a parfois traversée en apnée. On a repris son souffle tant bien que mal, fait des exercices de respiration profonde ou tranquille, on s’est détendus. On peut alors se permettre une dernière lecture estivale stimulante avant de retrouver l’irrespirable. Et ce n’est pas une simple question d’air mais aussi de discours, d’ambiance politique, de « défaut général de respirabilité des milieux et des modes de vie » (45).
Marielle Macé adresse aux « respirants » un texte poético-philosophico-politique, pas toujours simple mais riche de fulgurances, d’images, de mots, de citations qui nourrissent notre réflexion et notre sensibilité.
Le livre « parle d’aujourd’hui, de nos asphyxies et de nos grands besoins d’air, c’est-à-dire de l’irrespirable et de tout ce qu’il faut pour respirer » (10). « Tout le monde le sait, le sent : on manque d’oxygène, de santé, de paix, on manque de liens vrais, de justice et de joies » (11).
Et respirer n’est pas seulement une question d’air : « il faut surtout une qualité de liens, de paysages, d’avenirs, beaucoup d’autres personnes avec qui respirer, en qui espérer, et qui puissent se respirer en vous » (13). Et c’est de moins en moins simple avec l’industrialisation à outrance, l’extractivisme, la déforestation, l’asphyxie des sols, les sécheresses et les incendies.
Il est ainsi question d’allergie, d’asthme, d’atmosphère conditionnée, d’ensemencement des nuages, de confinement pandémique car « la respiration est aussi une expérience de la vulnérabilité » (71) mais aussi de baiser partagé et de vague, d’oiseaux - « c’est à leur capacité hors du commun que les oiseaux doivent leurs grâces, leurs deux grâces cumulées : la virtuosité du chant et la possibilité du vol » (36) – et d’arbres aussi car « leur respiration est notre inspiration » (49).
L’auteur parle encore du consentement à la respiration. « Consentir à ce qui est pourtant une nécessité physiologique et un mouvement réflexe, mais qui a la particularité d’être en partie contrôlable » (67). « Comme si respirer n’allait pas tout à fait sans moi, sans mon désir, sans mon acquiescement à la vie et au monde » (69).
Elle évoque ainsi le lien entre « ma respiration et l’état du monde », « la tragédie qu’il y a alors à respirer dans un monde irrespirable, c’est-à-dire à participer personnellement d’un air pollué, à savoir que nous avalons puis exhalons des poisons, des discours fumeux, que nous en sommes faits et les faisons circuler, que nous constituons intimement ce monde abîmé et l’aggravons en continu » (78).
Enfin, l’autrice ouvre un champ des possibles construit à partir de l’espérance de vie. « Il faut un paysage complet pour respirer en fait, un paysage de choses, de gens, d’existences, de parole, de relations, un paysage qui vous plaise au moins un peu, et auquel votre corps puisse quelque chose. Un paysage qui vous accueille et vous fasse une sorte de promesse, qui ait quelque chose d’une ouverture, d’« un soulèvement, d’une largesse, peut-être d’un redépart, d’une réponse même (…) Ce qu’il faut, c’est pouvoir prononcer « c’est ici » de temps en temps » (87).
« Il s’agit d’entendre la vie-même, comme un territoire d’espérance, d’aspirations, de travailler à la penser toujours comme ça, pour tout le monde. Une espérance qu’il faut entendre socialement, politiquement, et écologiquement, car ce n’est pas à l’égard de l’être-en-vie que nous avons une responsabilité, mais à l’égard des conditions effectivement faites à la vie, et de ce que serait une vie qui vaut la peine qu’on y tienne et qu’on y mette du sien » (101).
« A cette espérance, il faut un régime de parole en effet, parole pour de bon, parole de santé, parole inquiète de ses effets (…) L’actualité récente a souvent révélé, s’il en était besoin, quelque chose comme des états pourris de la parole en même temps que du climat (…) Des états pourris de la parole politique, de la parole médiatique et de nos propres échanges » (103). « Le monde ne réclame pas de beaux discours (…) Il réclame que nous exercions pour de bon nos responsabilités de vivants parlants », que nous cherchions une parole « qui veut dire juste, qui veut circuler et même faire du bien ». « Voilà, c’est ça : ce qui respire au fond de la parole c’est la fraternité » (114).