LE LIVRE DU MOIS N’EST PAS UN LIVRE par Christine FINDAL
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Je propose un regard sur un tract d’Erri de Luca, intitulé :
"Europe, mes mises à feu", paru chez "tracts Gallimard" en 2019.
Dans ce bref essai, poétique et politique, concis -c’est sa marque de fabrique-, Erri De Luca exprime son attachement à une Europe ouverte et humaniste, et affirme sa vision d’une communauté humaine au-delà des frontières.
Hommage est rendu aux poètes, ceux qui témoignent de l’histoire humaine, ceux qui savent "extraire les mots de la glace", ceux qui se vouent/dévouent à la liberté : celle qui ne dépend pas d’un choix, mais d’une "inexorable obéissance à un commandement", et qui fait que "au XXème siècle les prisons, les camps de concentration, les exils ont dans leurs listes les noms des poètes."
Dans son style épuré, il témoigne d’une recherche infatigable de liberté, qui n’est jamais uniquement la sienne, et en réfère à l’universel, celui des exploités, des opprimés, des persécutés.
Son Europe est "née sur des cendres et des ruines"... "antibiotique de la guerre".
Ayant grandi à Naples, "ville la plus bombardée d’Italie", il a appris l’Europe d’abord par la Grèce, son plus grand fournisseur de vocabulaire, contre laquelle l’institution Europe s’est retournée, dans un exercice comptable injuste et disproportionné.
Il a cherché dans l’Europe la promesse qu’elle contient, celle de la liberté de circulation pour les humains, et a trouvé une mer qui est devenue "le laboratoire le plus intensif de transformation de corps humains en plancton".
Cette mer que même Rome nomma "Nostrum", la nôtre, et non Meum, la mienne ; route liquide pour Homère...
Comment accepter qu’elle soit une barrière ?
Et, plus prosaïquement, comment l’Europe vieillissante pourrait-elle refouler une force de travail jeune et ouvrière ?
Refuser une monnaie solide ?
La notion de frontière -que la musique ignore- est bien artificielle :
Le Danube débouche sur la mer Noire, dont le courant s’écoule dans la mer Égée...
Aussi bien, sa ville n’appartient pas au Sud, mais au croisement des vents : (tout comme Marseille, ndlr)
La noblesse réside dans le croisement des lignées, dans le mélange et non le pedigree.
Sur ce continent, le racisme est une pathologie qui se soigne : "remède obligatoire et immunitaire : la lecture des livres du monde. Je leur dois d’être porteur de citoyennetés variées et de fraternité européenne."
Enfin, l’Europe est à ses yeux une zone franche de la liberté d’expression.
Ayant été soutenu par des citoyens européens lorsqu’il fut inculpé pour ses convictions, il se doit de soutenir à son tour la liberté de pensée des politiques catalans incarcérés pour délit d’insurrection : ce n’est pas sur leur position -indépendantiste- qu’il se prononce, mais sur leur droit d’exprimer leurs opinions ; c’est ce qu’il appelle son devoir d’ingérence : il défend leurs mots pour défendre les siens.
L’auteur :
Erri De Luca, né à Naples en 1950.
Écrivain, journaliste engagé, poète, traducteur.
Œuvres : Montedidio, Le plus et le moins, Le contraire de un, Le tour de l’oie, Trois chevaux, Impossible....