Moins ! La décroissance est une philosophie de Kohei Saito, présenté par José Rose

jeudi 20 mars 2025
par  io2a
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Kôhei Saitô, Moins ! La décroissance est une philosophie, Seuil, 2024, 23 euros

Un gros pavé par son format et son contenu. Un pavé dans la mare qui vaut le détour quand la catastrophe gronde. Un pavé qui parfois se répète mais l’urgence s’accompagne mal de l’allusion. Un pavé riche de réflexions et de pistes difficiles à résumer en quelques mots. Un pavé de bonnes intentions que l’on a envie de balancer contre les détenteurs du capital et du pouvoir.

La thèse du livre est simple : si l’on veut sauver la Terre, notre bien commun, il ne faut plus tergiverser, se satisfaire de faux semblants et de remèdes à la petite semaine. Il s’agit de s’attaquer à la racine, au système capitaliste à l’origine de ces grands maux et qui ne peux que les accumuler. Il convient alors de se diriger courageusement vers un autre horizon : le communisme de décroissance. C’est « la dernière chance qui s’offre à l’humanité pour survivre tout en garantissant la liberté, l’égalité et la démocratie » (103). Si l’on ne prend pas cette option, l’avenir humain sera sinistre et dirigé par des pouvoirs forts plus ou moins inégalitaires - « maoïsme climatique » ou « fascisme climatique » - à moins que l’on ne sombre dans la barbarie.

On entend déjà monter les quolibets - le communisme, ah, ah, ah, l’expérience de l’URSS ne vous a pas suffi ; la décroissance, oh, oh, oh, vous voulez revenir à la lampe à huile – mais notre philosophe japonais ne s’en laisse pas conter. Il sort son vieux Marx et ses notes tardives désormais accessibles, ce Marx d’après « la primauté des forces productives » qui s’est pris de passion pour les sciences naturelles et les coopératives. Et ça dépote ! Entrons dans le détail.

Le diagnostic est connu et occupe le premier chapitre du livre : ampleur des changements climatiques avec son cortège de famines, d’incendies, d’ouragans ; explosion concomitante des profits et de la misère ; prolifération du gaspillage ; maintien du « mode de vie impérial » des pays développés ; externalisation des impacts environnementaux ; déplacements technologiques, géographiques et temporels des problèmes ; inégalités croissantes (les 10% les plus riches émettent la moitié du dioxyde de carbone et la moitié la plus pauvre en émet 10%) ; indifférence ou procrastination, etc. Et nous voici « arrivés à un tournant dans l’histoire causé par la consommation achevée du monde extérieur » (49).

Le chapitre 2 met en discussion le New deal vert, soutien public aux énergies renouvelables et aux véhicules électriques, et souligne les limites du keynésianisme climatique qui laisse croire que « les changements climatiques pourraient être convertis en opportunité pour continuer à faire croître l’économie  » (53), que l’on peut tout à la fois « d’assurer une croissance économique sans augmenter le fardeau environnemental associé » (58) alors qu’il s’agit simplement de stimuler le marché. Ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu - dans une société de croissance et de profit, les économies obtenues par les énergies renouvelables sont annihilées si téléviseurs et voitures grossissent - quand on s’approche des « limites planétaires » résumées en neuf points par Rockström : changements climatiques, érosion de la biodiversité, modification des usages des sols, pollution chimique, perturbation des cycles biochimiques de l’azote et du phosphore, acidification des océans, aérosols atmosphériques, diminution de la couche d’ozone, utilisation de l’eau douce » (56).

Le chapitre 3 – Viser la décroissance dans le système capitaliste - part du constat que des milliards de personnes n’ont pas accès à l’électricité, à l’eau, à la nourriture, à l’éducation et ont donc besoin de la croissance. Outre le fait que ce rattrapage est plus accessible qu’on ne le dit, c’est aussi une affaire d’équité : « pour notre propre survie, il faut nous orienter vers une société plus juste et plus durable (…) La clé de notre survie est donc l’égalité » (99). L’auteur montre ensuite que la décroissance est impossible sous le capitalisme qui a toujours besoin de la croissance pour faire croître les profits, au risque même du gaspillage ». Puis il note que la décroissance rencontre un intérêt certain ces dernières années, comme le manifestent les mouvements environnementaux révolutionnaires (XR, Sunrise). Mais cette décroissance n’est pas celle des années passées qui, en n’appelant pas au dépassement du capitalisme, était identifiée au déclin et à la stagnation. Il s’agit désormais de viser l’égalité et la durabilité et de définir la décroissance à l’aune de la prospérité des humains et de la qualité de la vie : « ce qu’il faut réduire, ce sont les SUV, la viande de bœuf et la fast fashion, et non l’éducation, la sécurité sociale et les arts » (121).

Le chapitre 4 – Marx dans l’anthropocène – se demande ce que cet auteur qui sort un peu de l’oubli, pourrait nous dire de cette crise environnementale. Il s’appuie pour cela sur les travaux réalisés à la fin de sa vie et qui remettent en cause son idée que « la modernisation apportée par le capitalisme conduirait finalement à l’émancipation de l’humanité » (134). Il préfère parler d’interactions cycliques et de « métabolisme matériel entre l’être humain et la nature ». Et, dans ces notes de travail tardives, il évoque de « nombreux thèmes écologiques tels que la déforestation excessive, la surutilisation des combustibles fossiles ou encore l’extinction des espèces comme autant de contradictions du capitalisme  » (143). « Comme le dit Žižek, le communisme n’est rien d’autre qu’une tentative consciente de reconstruire les communs qui ont été démantelés par le capitalisme : la connaissance, l’environnement naturel, les droits de l’homme et la société » (129). « Nous devons donc chercher une nouvelle voie qui non seulement enrichisse les individus mais qui fasse sortir la Terre, en tant que commun durable, de la marchandisation imposée par le capital » (131). « Le communisme qu’envisageait finalement Marx était une économie équitable, durable et de décroissance  » (173).

Le chapitre 5 – L’accélérationnisme, un refus du réel – revient sur l’illusionisme technologique censé nous sauver grâce aux progrès de la viande artificielle, du génie génétique et du solaire, ce que Bastani appelle «  le communisme de luxe, entièrement automatisé ».En réalité, cela revient à « aggraver le pillage auquel la Terre est soumise et encourage un impérialisme écologique encore plus sévère » (187). Et surtout, cela ne s’attaque pas au cœur, à la transformation des rapports de production. On observe pourtant ces dernières années, un certain renouvellement démocratique avec les assemblées citoyennes, Extinction Rebellion ou les Gilets jaunes qui réagissent à notre impuissance face au Capital et aux technologies appropriées par les spécialistes et les politiciens alors que l’on pourrait « explorer les potentiels offerts par les technologies qui nous permettent de développer notre capacité à gérer nos vies nous-mêmes » (205).

Le chapitre 6 – Capitalisme du manque, communisme de l’abondance – remet l’histoire sur ses pieds. Il montre d’abord que le capitalisme, drapé des valeurs de progrès, prolifère grâce à la pénurie et l’entretien de la rareté, y compris de façon artificielle par les prix, pour mieux accumuler les profits. L’immobilier en est un exemple éclairant. «  Le système de propriété privée né après la clôture des communs a détruit la relation durable et d’abondance entre les humains et la nature » (215), mieux même, « les actes de destruction et de gaspillage, tant qu’ils contribuent à créer de la rareté, sont une opportunité pour le capitalisme ». Reste alors, par le communisme, à « restaurer une abondance radicale » (228), à développer une « gestion citoyenne des communs », à créer des « coopératives de travailleurs », à développer «  la propriété sociale par les travailleurs », à démocratiser l’économie, à promouvoir l’économie sociale et solidaire. Et cela peut concerner de nombreux domaines : réseaux électriques, régies de l’eau, économie collaborative, éducation, santé, Internet, etc. « La décroissance, ça n’est pas les gens qui s’appauvrissent. Plus les domaines où l’on a des bénéfices en nature s’étendent, plus les domaines où l’on ne dépend pas de l’argent se développent, plus nous nous libérons de la pression constante qu’exerce sur nous le travail. Et cette liberté, c’est aussi plus de temps libre pour chacun de nous ». Ce faisant, «  nous consommerions moins d’énergies fossiles, mais nos communautés auraient bien plus d’énergie sociale et culturelle » (237). Oui, l’avenir est à « l’autolimitation » comme acte de résistance au capitalisme (244).

Ainsi, comme le développe le chapitre 7, le communisme de décroissance peut sauver le monde. « Communisme ou barbarie » : le choix est vite fait. Nous avons besoin de communautés autonomes et de soutien mutuel, d’autogestion et de co-gestion, d’une « nouvelle perspective égalitaire à visée universelle, fondée sur la propriété sociale, l’éducation et le partage des savoirs et des pouvoirs », comme l’écrit désormais Piketty. Et déjà quelques graines sont semées comme à Détroit, avec ce projet d’agriculture urbaine niché dans les ruines de l’empire automobile, comme à Copenhague avec les vergers urbain (Edible City), en Equateur avec l’inscription du buen vivir dans sa constitution, ou au Bouthan qui utilise le concept de BNB pour Bonheur national brut.

Il est finalement possible, toujours en s’adossant à Marx, de décliner les cinq piliers du communisme de décroissance. Le passage à une économie de la valeur d’usage et la priorité accordée à la satisfaction des besoins fondamentaux des personnes, permettra de se débarrassera du consumérisme. La réduction du temps de travail s’accompagnera de celle des emplois à but lucratif dont on pourrait se passer : marketing, publicité, packaging, consultants, banques d’investissement. L’abolition de la division standardisée du travail transformera le travail en « une activité plus créative et plus épanouissante  » et plus variée (273). La démocratisation du processus de production passera par « la cogestion des moyens de production par association, c’est-à-dire par la décision démocratique de « ce que l’on produit, combien on en produit, comment on le produit » (275). Il s’agira enfin de mettre en valeur les services essentiels du soin, de la santé, de l’éducation qui produisent des valeurs d’usage, nécessitent du temps, de la qualité et qui doivent être reconnus et mieux rémunérés.

Le dernier chapitre parle de « la justice climatique comme levier  ». Il évoque la déclaration d’urgence climatique de Barcelone et le réseau des « Villes sans peur », « ces villes qui n’ont ni peur de leurs Etats, ni peur des entreprises globalisées » (289). Un catalogue de 240 mesures, dont certaines sont déjà appliquées, concrétise cette déclaration : « verdissement des espaces municipaux, cycles locaux pour l’électricité et la nourriture, expansion des transports publics, restrictions sur les voitures, les avions, les bateaux, élimination de la précarité énergétique, réduction et recyclage des déchets, etc. » (290). Il évoque aussi les solidarités horizontales, les coopératives de travailleurs et «  la volonté d’apprendre des expériences du Sud global » (309). Tandis qu’à l’horizon s’entre-aperçoit « la propriété sociale des grandes compagnies pétrolières, des grandes banques et de l’infrastructure numérique que constituent les GAFA » (314).

La conclusion en appelle à ne pas désespérer « face au capitalisme et aux 1% des ultra-riches qui le contrôlent », car, comme l’écrit Chenoweth, « il suffit que 3,5% d’une population s’engage dans un mouvement de revendication non violent avec conviction pour que la société en question connaisse des changements » (321). Reste à les rejoindre ! Utopique ! Utopique ? Et alors ? « Il n’est pas interdit de rêver » disait je ne sais où notre bon vieux Marx.

José, 20 mars 2025
" En début d’année, je vous souhaitais de bons moments partagés. En voici un pour ce premier jour de printemps : la découverte d’un livre que j’ai eu envie de résumer pour celles et ceux qui n’auront pas le temps de le lire.
Juste histoire de décoller un peu dans une période plombante.
Bises "


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Pétition en ligne à signer pour un cessez-le-feu immédiat entre Israël et Gaza. Le lien :
[https://www.change.org/p/ceasefirenow-appel-%C3%A0-un-cessez-le-feu-imm%C3%A9diat-dans-la-bande-de-gaza-et-en-isra%C3%ABl]