Le temps, l’ailleurs et les autres
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Le temps, l’ailleurs et les autres
Continuant à me faire l’écho de vos commentaires sur le nécessaire et l’essentiel, je commencerais par noter, reprenant les mots de l’une d’entre vous, que ces notions dépendent « évidemment d’une échelle de temps ». A 24 h, l’eau et un toit sont nécessaires ; viennent ensuite « la nourriture, les vêtements, les chaussures, les moyens d’hygiène, le gaz et/ou l’électricité » avant que l’on éprouve de nouveaux besoins : avoir des nouvelles de ses proches, marcher dans la nature, écouter de la musique, rire et plaisanter avec ses amis et aussi « être seule ». Mais, pour elle, les pratiques culturelles (lecture, spectacles) ne relèvent pas du nécessaire « et ça me fait parfois culpabiliser » car « tout le monde en parle comme essentiel. Je m’en sors avec la culture de ceux qui m’entourent ; en les écoutant, j’en acquiers des petites bribes ». Au-delà d’un mois ou deux, « beaucoup de choses nous sont indispensables » comme « trouver les réponses aux questions que je me pose » et « savoir ce qui se passe, l’information donc ». Mais, dit une autre, « quand j’écoute Macron, j’ai du mal à résumer l’essentiel de son discours : est-ce essentiel ? ».
Chacun définit ainsi ses priorités et s’offusque aussi de celles qui nous sont imposées : tabac essentiel et livres secondaires, hyper marchés ouverts et boutiques de chaussures fermées ? Ce n’est pas essentiel de lire et de se sentir bien dans ses baskets de proximité ? Absurdité d’un raisonnement binaire niant la complémentarité des besoins : enterrer ses morts oui, mais sans fleurs ni couronnes ! Heureusement, on peut encore acheter le blé de l’espérance chez les boulangers. Mais de quel blé s’agit-il ? Celui du pain ou celui des richards ? Celui des roulés dans la farine qui espèrent juste que cela pousse un jour ou celui des plein les poches qui cueillent les dividendes par brassées ? On a l’espérance de ses ressources.
D’autres insistent sur la nécessité de se déplacer à sa convenance, de se balader le nez en l’air au gré de ses étonnements. « Aujourd’hui, pour bouger, il faut se munir d’une attestation dérogatoire de déplacement : l’essentielle liberté de mouvement est à ce prix ! » s’offusque cette correspondante qui écrit d’emblée que « l’essentiel, c’est aller à l’essence des choses, mais justement, l’essentiel, c’est de se passer de l’essence ! ». Cà tombe sous le sens quand on a un peu de bon sens ! Une autre parle de la nécessité de rêver et de se souvenir. Plus difficile de se projeter en ce moment. Bref, nous ne sommes pas seulement des êtres à nourrir et à soigner mais aussi des êtres pensants, sensibles, sociaux et nos besoins vitaux sont faits de relations, de réflexions, d’émotions et pas seulement de produits et services.
C’est ici qu’arrive l’opposition entre intérieur et extérieur. « L’impression que « mon » extérieur est arrêté, figé tandis qu’à l’intérieur ça roule, déroule, déboule débaroule » écrit l’une des contributrices. Baignée dans le « tout confort » - bien nourrie, bien logée, de la culture à portée de main dans mes rayonnages ou d’oreille dans les équipements électroniques d’aujourd’hui - je regarde L’extérieur et que vois-je ? qu’entends-je ? ». « Dans le grand Extérieur le cheminement vers le monde d’après avance organisant –exacerbant - le recul des libertés civiles (…), des droits fondamentaux à l’éducation et à la connaissance, à la santé, au logement ». Tandis qu’au fond de mon intimité, me manque la « libération dans la rêverie », laquelle fait émerger « le chatoiement de lumières dans les feuilles » et « un drôle de cri dans les arbres : pas un oiseau….un écureuil ! Le chemin grimpe, longe des ravins : un coup d’œil aux chamois, non ils ne sont pas là, il est trop tard sans doute. Ah, tiens, le sommet… je suis aspirée par le ciel et m’étire sur l’enchevêtrement de collines. Le bonheur…Plus qu’à se jeter dans la pente et le dévorer à plein sens ».
Enfin, il y a « les rencontres avec les autres humains : les rencontres furtives et parfois beaucoup plus profondes avec mes voisins (…) les trois mots banals, mais amicaux échangés avec les commerçants du coin aussi ». « Les sourires des humains me sont indispensables » témoigne une interlocutrice. « Parler, écouter l’autre », en direct ou par téléphone mais aussi se sentir utile « utile à d’autres, utile à mon boulot, utile à des causes que je défends ». Et pourvoir partager des moments d’amitié, partager en direct et non dans ces visio-apéros sans saveur qui permettent seulement de « boire double », pour reprendre cette expression bien venue, car il est encore possible d’acheter une bonne bouteille. En situation de crise et de déprime les cavistes sont quasiment des pharmaciens.
Les rencontres donc mais avec parcimonie et à distance s’il vous plait. Comme dans les librairies. On clique chez soi, on prend rendez-vous, on collecte par-dessus la table et on prend vite fait ses cliques et ses claques. Sans contact je vous dis mais avec chaleur rayonnante. Car « vivre sans tendresse, le temps vous parait long, long, long, long, le temps vous paraît long ».
Vous pouvez encore envoyer des messages sur ces questions d’essentiel et de nécessaire à accueil.marseille@attac.org. et nourrir ainsi la rubrique de la semaine prochaine.
José Rose.