LA LETTRE D’INFORMATION du groupe de travail sur l’Union Européenne d’ATTAC France
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En pièce jointe pour la version en PDF et ci-dessous reproduite pour faciliter la lecture, nous publions la lettre n° 8 rédigée par le groupe de travail d’Attac France sur le fonctionnement de l’Union Européenne qui aborde cette fois-ci 4 thèmes : l’Italie d’extrême droite et l’UE, vers l’euro numérique, la modification ratée de REACH, et très brièvement une nouvelle ICE.
Pour retrouver ce groupe et ses écrits :
https://vie-interne.attac.org/espac...
Institution : Italie, l’extrême droite est bien soluble dans l’UE
Le 25 septembre dernier, les élections législatives italiennes ont permis l’arrivée au pouvoir d’une coalition de droite extrême, dirigée par le parti d’extrême droite Fratelli d’Italia. Et le 21 octobre, c’est Giorgia Meloni, la dirigeante de FI qui a été nommée cheffe du gouvernement.
La coalition au pouvoir est composée de partis dont certains sont réputés pour être anti-européens. C’est le cas de la Ligue, dont le leader, Matteo Salvini, a multiplié les déclarations hostiles à l’Union. Giorgia Meloni, dans un passé pas si lointain a fait montre d’anti-européanisme sévère.
Il était donc intéressant de voir comment allait se comporter cette nouvelle équipe gouvernementale dans ses rapports aux instances européennes.
Nous pouvons être rassurés, tout va bien ! La première réunion du Conseil européen auquel a participé la nouvelle cheffe du gouvernement s’est déroulée sans aucun accroc. Il faut dire que dès la campagne électorale, elle avait donné de nombreux signes de son désir de poursuivre la politique économique de son prédécesseur, Mario Draghi. Ce dernier avait déclaré qu’il n’était pas inquiet pour l’avenir de l’économie italienne avec Mme Meloni aux affaires !
Il faut dire que l’enjeu européen est pour l’Italie d’importance au niveau économique. L’Italie est la première bénéficiaire du plan de relance post pandémie (NextGenerationUE). Ce sont au total, plus de 190 milliards d’euros de prêts et de subventions qui sont prévus ! Aujourd’hui, l’Italie n’a reçu que 25 milliards d’euros.
Avec une dette qui atteint 150% du PIB, c’est peu dire que l’argent européen est indispensable. Meloni a annoncé dans sa campagne une réforme des retraites et une réduction des impôts (comprendre, "des plus riches"). Ce qui semble correspondre aux voeux de l’UE exprimés dans le semestre européen 2022.
L’autre dossier sur lequel Meloni était attendue, c’est celui des relations interna-tionales. Les déclarations pro-Poutine de Salvini, l’amitié de Berlusconi avec le maître du Kremlin, les relations passées pro-russe de l’extrême droite pouvaient laisser craindre une fracture dans le camp européen.
Là encore, il n’en est rien. L’Italie s’est montrée très solidaire des autres pays européens lors des réunions du Conseil européen. Meloni a réaffirmé son attachement à l’OTAN, son opposition claire à Poutine et son soutien à l’Ukraine ! Seule une divergence avec l’Allemagne au sujet de la question du plan "énergie" a
quelque peu écorné ce premier rendez-vous. ..
Mais c’est sur la politique intérieure que la vraie nature de la droite extrême se révèle. Un décret-loi fourretout, autour des questions sécuritaires inquiète les démocrates italien-ne-s. Le sujet central concerne la possibilité d’organiser des rave-parties. Mais beaucoup craignent les débordements liberticides vers le contrôle plus strict de tous les rassemblements, y compris politiques et syndicaux.
Enfin, la question du contrôle de l’immigration reste emblématique pour l’extrême droite. Il n’aura pas fallu longtemps pour que Meloni nous fasse du pur Salvini, en particulier avec l’Océan Viking. La question est de nouveau renvoyée à L’UE, sur fond de l’hypocrite affrontement franco-italien. Ne doutons pas de l’arrangement qui sera in fine trouvé, sur le dos des migrant-e-s, comme d’habitude. La commissaire chargée des affaires intérieures, Ylva Johansson, a réitéré la demande de la Commission européenne de permettre sans délai à la Bulgarie, la Croatie et la Roumanie de rejoindre l’espace Schengen. Les pays d’Europe de l’Est y sont défavorables, tout comme les Pays-Bas. L’Italie n’a pas encore fait entendre sa voix…
Économie : Vers l’euro numérique
La Banque centrale européenne (BCE) mène depuis 2020 une réflexion sur la création d’une "monnaie numérique banque centrale" (MNBC) : "un euro numérique pourrait même devenir essentiel dans un certain nombre de scénarios possibles. Par exemple, si l’utilisation des espèces diminuait sensiblement, si d’autres modes de paiement électroniques devenaient indisponibles en raison d’événements extrêmes, ou si une monnaie numérique étrangère remplaçait largement les moyens de paiement existants." (BCE).
Sous l’appellation générale de monnaie électronique il convient de distinguer deux catégories juridiques de dispositifs :
– celles qui sont gérées dans le cadre d’une zone monétaire et qui bénéficient d’un cours légal. Il s’agit des monnaies électroniques créées par une banque centrale (comme l’euro numérique) ou bien des monnaies créées avec l’accord d’un gouvernement et contrôlées par la banque centrale correspondante. Ces monnaies
électroniques gérées indépendamment des comptes bancaires des banques de dépôt, peuvent être vues comme un moyen de paiement supplémentaire complétant/concurrençant la monnaie fiduciaire (pièces et billets) et la monnaie scripturale (comptes de dépôt, chéquiers, cartes de paiement) ;
– celles qui sont créées et gérées en toute indépendance par des entreprises privées ; elles ne sont pas des monnaies au sens traditionnel du terme, mais plutôt des jetons numériques ne pouvant être échangés contre de la monnaie officielle que dans certaines conditions. Elles préoccupent les régulateurs financiers dans la mesure où elle concurrencent, sans contrôle, les monnaies émises par les banques centrales. Le bitcoin fait partie de la première génération d’actifs numériques de ce type, caractérisée par une forte volatilité en raison de l’absence de régulation. Par la suite ont été créées des crypto monnaies stables (stable coins) qui adossées à une monnaie forte bénéficient d’une plus grande stabilité (comme le tether adossé au dollar américain).
Ainsi, des initiatives publiques de monnaies numériques voient, comme l’euro numérique, voient le jour comme en Suède (l’e-krona), aux États-unis (l’e-dollar) et surtout en Chine où le yuan numérique a été lancé en 2022 dans le but de concurrencer le dollar. « Derrière le développement de cette monnaie numérique, il y a un projet politique, qui permet de contribuer à deux objectifs majeurs : d’une part “contrôler” la population, et d’autre part favoriser l’internationalisation de la monnaie chinoise comme une “arme de soft power” notamment dans les pays cibles de la route de la soie », écrit le Conseil National du Numérique (CNNum) dans une note détaillée consacrée à la révolution des cryptomonnaies.
L’architecture en réseau du futur euro numérique n’est pas encore arrêtée. Cinq entreprises (parmi lesquelles Amazon !) ont été retenues pour effectuer les séries de tests nécessaires. Mais l’euro numérique devrait répondre à un certain nombre de principes fondamentaux énoncés par la BCE :
"1 : convertibilité au pair : l’euro numérique n’est pas une monnaie parallèle ;
2 : passif [au bilan] de l’Eurosystème : un euro numérique est de la monnaie de banque centrale et son émission est contrôlée par l’Eurosystème ;
3 : solution européenne : largement accessible de façon égale dans tous les pays de la zone euro via des prestataires de service supervisés ;
4 : neutralité de marché [conformément à l’optique monétariste selon laquelle la monnaie ne doit avoir aucun impact économique] : ne doit pas évincer les solutions privées ;
5 : bénéficie de la confiance des utilisateurs finaux : considéré comme une solution de confiance dès le début et au fil du temps."
Les avantages
D’abord, contrairement aux monnaies numériques privées disponibles, l’euro numérique serait un moyen de financement officiel plus sûr, car régulé par un comité de politique monétaire, et non par des algorithmes. Ce serait un moyen de lutter contre la fraude fiscale et les financements illicites sur le(s) darknet(s).
Ensuite, la BCE avance que selon les expérimentations en cours, il ressort que l’énergie nécessaire pour mettre en œuvre ce projet serait « négligeable par rapport à la consommation énergétique et à l’empreinte environnementale des crypto-actifs tels que le bitcoin ... » (pas de minage).
Enfin, dans une version progressiste, une monnaie numérique pourrait permettre de nouveaux usages, car elle serait programmable. Elle pourrait donc servir, par exemple, à verser des prestations sociales en faisant en sorte que ces euros ne soient utilisés que pour l’achat de produits de première nécessité, ce qui constitue toutefois une limitation de l’usage d’un moyen de paiement.
Les risques
Les choix techniques retenus au moment de la création d’une monnaie numérique peuvent permettre une traçabilité des transactions et il faut s’assurer d’avoir un système suffisamment résistant face au piratage et rechercher un équilibre entre la lutte anti-blanchiment et contre le financement du terrorisme (LCB-FT) d’une part et la protection de la vie privée et des données personnelles d’autre part.
La CNIL relève que « Les autorités de protection des données européennes ont récemment mis l’accent sur les risques significatifs pour la vie privée et la protection des données pouvant résulter de ce type de projet (suivi et surveillance généralisés des transactions à travers les systèmes de paiement, interférence excessive d’entités étatiques centralisées ou de services privés dans les données de paiement, etc.) notamment s’il se traduisait par la centralisation des comptes auprès de la banque centrale, et sur la nécessité de concevoir l’euro numérique de manière conforme aux lois et principes européens. »
Pour le système bancaire, le Conseil national du numérique (CNNum) mentionne que si les particuliers peuvent détenir directement leurs euros numériques, les banques de détail voient leur rôle diminuer d’autant.
Et, privée de l’argent des déposants, elles ne peuvent plus octroyer de crédits pour financer l’économie … Quant aux banques alternatives (NEF, etc. ) …
Question de délai
Le CNNum indique que « Dans le domaine du numérique, ceux qui démarrent les premiers ont souvent un avantage impossible à rattraper. Il faut bien sûr mesurer les risques. Mais à se hâter trop lentement, nous risquons de louper le coche ». Or, le projet pharaonique européen n’est pas encore abouti. Après des années de consultation au sein de la bureaucratie bruxelloise, il faudra au mieux attendre octobre 2023 pour un début de mise en œuvre …
Écologie : Les substances chimiques toxiques ont encore un bel avenir dans l’UE !
Le 18 octobre dernier, la Commission européenne a présenté son plan de travail pour l’année 2023.
C’est un passage obligé, chaque fin d’année, l’exécutif européen annonce ce qu’il a l’intention de produire l’année suivante.
Tout le monde s’attendait à ce qu’une modification du règlement REACH soit à l’ordre du jour de ce plan de travail.
Las, il n’en est rien ! Ou plutôt, la modification de REACH est maintenant programmée fin 2023.
Il faut surfer dans les arcanes du site de la Commission pour trouver le détail du programme d’action. Le passage concernant la modification de REACH annonce : "Après avoir consulté les principales parties prenantes, nous proposerons une révision ciblée de la législation relative à l’enregistrement, à l’évaluation
et à l’autorisation des substances chimiques (REACH) dans le but de garantir les avantages concurrentiels et l’innovation européens en promouvant des produits chimiques durables, en simplifiant et en rationalisant la procédure réglementaire, en réduisant les charges et en protégeant la santé humaine et l’environnement."
Lorsqu’il a été adopté par le Parlement et le Conseil en 2006, REACH avait fait couler beaucoup d’encre.
Quand bien même certaines substances ont été interdites par le règlement REACH (ex : amiante, etc.), REACH s’est néanmoins gardé de faire de même vis à vis de l’emploi de substances chimiques dans l’agriculture.
La Commission avait acté, dans le Pacte Vert européen, l’amélioration de ce règlement. Cette modification prévue en 2023, ne sera abordée qu’à la fin de l’année 2023. Le déplacement n’est pas anecdotique. Ceux qui ont en tête l’agenda européen ont tout de suite vu que fin 2023, c’est juste avant 2024, et qu’en 2024 il y aura ... les élections permettant de renouveler le Parlement ! Comme il est matériellement impossible que la proposition législative de la Commission rédigée fin 2023 soit débattue au Parlement, puis au Conseil et qu’un accord soit trouvé en 6 mois, cela signifie que ce sera à la prochaine Commission de présenter ce travail. Ou pas …
Ce report de présentation du texte n’est que le dernier avatar des manœuvres permanentes bruxelloise. La pression des lobbies chimiques, Bayer et BASF en tête, ont su convaincre les Commissaires que la modification de REACH pouvait attendre. Et les chimiquiers ont su mettre le doigt dans la zone sensible : la guerre en Ukraine. Ils ont tout simplement plaidé pour un délai supplémentaire puisque la guerre impose une modification du fonctionnement de la production et de la distribution agricole ! Il faut aussi noter qu’à l’heure où l’UE cherche à conclure des traités de libre-échange avec des pays comme le Mexique, le Mercosur, l’Australie, etc., le renforcement du règlement REACH serait malvenu dans le contexte de la négociation de ces traités ou entrerait en conflit avec les textes des traités mis en œuvre. Plus le projet sera retardé, plus il sera possible que des organes de coopération réglementaires s’y opposent.
Des arguments auxquels a été très sensible le Commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton. Il a présenté fin septembre une note dans laquelle il demandait un moratoire en ce qui concerne la modification de REACH. Le deal, très bruxellois, trouvé a été de déplacer l’étude de la proposition dans le temps, rendant sans doute impossible la modification tant espérée.
Cet épisode, catastrophique pour la santé des européens, est très significatif du fonctionnement politique de la "démocratie européenne". Tout commence par une proposition plutôt séduisante, et quand il faut conclure, les lobbies sont passés par là, et l’UE s’en sort par une "pirouette" qui n’abusera que les personnes qui ont envie de croire aux vertus du marché …
Une nouvelle ICE
La Commission européenne a décidé le 24 novembre d’enregistrer une initiative citoyenne européenne (ICE) intitulée « Journée européenne du “Quoi qu’il en coûte” ». Comme quoi, l’humour existe aussi au sein de l’Union !
Pour y souscrire : https://europa.eu/citizens-initiative/initiatives/details/2022/000010_fr