"Eco-féminisme, de la pratique à la théorie"

lundi 28 septembre 2020
par  Hervé Thomas
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"Eco-féminisme, de la pratique à la théorie"

L’écoféminisme est désormais diagnostiqué sur tous les continents. Il est défini comme un courant philosophique, éthique et politique né de la conjonction des pensées féministes et écologistes.

Certes, il y a un courant de pensée à l’origine du mot « écoféminisme ».

Mais ça a d’abord été une pratique : des actions pour la préservation de la planète, contre sa surexploitation et pour plus de justice dans la répartition des ressources qu’elle peut offrir qui, parce qu’elles étaient principalement menées par des femmes, se sont avérées utiles à la reconnaissance, la prise de conscience de leur force, de leur capacité de s’organiser : et donc de ce point de vue, féministes.

Dans les années 60 puis 70, il y a simplement des femmes, qui prennent conscience des ravages de l’exploitation capitaliste et de l’industrialisation sur l’environnement et qui se battent pour l’écologie naissante, contre les pesticides aux Etats Unis par exemple.

Ou contre l’abattage des arbres comme le mouvement CHIPKO de 73 à 80 en Inde, un mouvement composé de villageoises, un mouvement volontairement sans leader, et ça marche ! elles obtiennent gain de cause ; On ne parle pas d’écoféminisme alors : la motivation est la préservation de l’environnement, de la vie, des arbres, c’est de l’écologie active.

Vandana Shiva a participé à ce mouvement, contribuant à le faire connaitre, Elle organisera elle-même un système de conservation de la biodiversité et des semences en Inde, dans lequel les femmes sont très présentes.

En France, la longue lutte à PLOGOFF contre l’implantation d’un site nucléaire a été menée très majoritairement par des femmes ; il arrive qu’on en parle aujourd’hui comme une illustration de l’écoféminisme… A l’époque, il n’en était pas question.

De la pratique à la théorie donc, parce que le terme et le concept sont apparus bien après que des mouvements essentiellement composés de femmes se soient battus au sein de luttes locales et précises, de longue haleine parfois, pour l’écologie.

Le terme d’écoféminisme est utilisé et probablement créé en 1974 par la française Françoise d’Eaubonne dans ‘Le féminisme ou la mort’, à l’époque sans grand écho.

Selon elle, « le drame écologique découle directement de l’origine du système patriarcal  », notamment de l’appropriation du corps des femmes par les hommes.
Et ce sont les participantes à une lutte anti-nucléaire et pour la paix après l’accident nucléaire de Three Mile Island en 1979 qui le revendiqueront pour elles-mêmes cette fois en mars 1980, aux Etats-Unis. C’est le début d’une théorisation qui a plusieurs courants comme souvent.

Vandana Shiva théorisera largement l’éco-féminisme dans les pays du Sud à partir de 1993.

Il y a une gamme de courants, tendances et équilibres dans l’écoféminisme.

Et une base commune : contre le patriarcat, le capitalisme, la marchandisation du vivant et pour un respect de la nature, une utilisation respectueuse de ses ressources ; l’écoféminisme se bat pour la mise en place d’une société humaine sans domination par la force mais avec coopération organisée, une solidarité….

Il revendique un changement de paradigme, le reclaim en anglais, une refondation de ce que l’humanité poursuit : arrêter avec la recherche de domination, d’accumulation de richesses, et au contraire promouvoir la recherche de partage, d’équilibre : partage des tâches, des ressources, respect.

Pourquoi lier aussi intimement écologie et féminisme ?

 La réponse classique est que les modes de domination des êtres humains sur la nature et des hommes sur les femmes sont apparentés.

A propos du parallèle entre les violences faites aux femmes et la violence contre la nature, je vais citer Émilie Hache : « Le lien qu’elles font ne se base pas sur un parallèle entre des faits, il s’agit d’une articulation qui tente de rendre compte du fait que la disqualification et la destruction de la nature se sont produites à partir d’arguments autour de sa féminisation. Et inversement, les femmes ont été opprimées en étant constamment renvoyées vers un état de nature. Il ne s’agit donc pas d’un parallèle entre deux formes de violence concernant deux réalités distinctes, mais de la mise en lumière d’un lien intime dans notre histoire, dans notre culture, entre notre rapport à la nature/au monde et celui entretenu à l’égard des femmes – et tout ce qui a été délégué du côté de la féminité. »

 Par ailleurs, il a existé, c’est plus rare maintenant, un courant écolo et patriarcal de type Proudhon : retour à la nature, chacun à sa place et les vaches seront bien gardées. Donc un souffle de féminisme sur le sujet ne faisait pas de mal.

 Ensuite, il y a une part revendiquée de sensibilité, utile à la vie, à l’écologie, à l’attention à autrui, que l’éducation sexiste a tendance à étouffer chez les hommes et à développer chez les femmes.

 Il y a également le fait que les femmes militent sur les domaines où la Société les a cantonnées. C’est normal : bataille pour le droit à l’eau, protection des terres cultivables en Afrique notamment, ou en Amérique Latine, ou en Roumanie (mine d’or).

 Il peut y avoir encore la facilité de travailler ensemble sans trop de dominations perturbantes à combattre : les coopératives de femmes au Japon ou ailleurs.

Les idées se mêlent entre courants à tendance :

* essentialiste (les femmes seraient différentes des hommes et faites pour protéger la terre),
* poétique (dans le film de Colline Serreau : solutions locales pour un désordre global, on apprécie et on se fait plaisir avec les parallèles entre labourer la terre et labourer le corps des femmes dans l’idéologie machiste, mais ça ne va pas plus loin),
* mythologique (Gaia la terre mère) parce que ça fait du bien de changer de registre de pensée.
Bien sûr, le concept de terre-mère, ce n’est pas que de la mythologie, c’est bien du réel : le système terrestre nous a fait naître et nous y sommes intégrés.
* ou universaliste : on sait bien que les mouvements partent de ce que les gens vivent (ex : le salariat et le mouvement syndicaliste) ; pareil pour les femmes : lutter ça permet de reprendre le contrôle de sa vie, la reconnaissance de sa force, empowerment en anglais.

Le résultat n’est pas très différent dans le concret et le débat entre les différentes tendances de l’écoféminisme n’est pas forcément âpre.

Pour ma part, je ne sais pas si ce concept d’écoféminisme est utile ou pas. Si pour certains ou certaines, ce concept rend la route lumineuse et leur pensée est satisfaite, pourquoi pas ?

Mais ce dont je suis sûre, c’est que les luttes qui se mènent partout pour le respect de la planète et les droits des femmes sont utiles.

Par ailleurs, il y a des choses à creuser dans le même système de pensée sur ce qu’on a appelé les économies transformatrices et l’économie féministe. Le Covid a empêché la tenue du Forum de Barcelonne, mais :

Le patriarcat étant fondateur de nos Sociétés, logiquement pour changer de système, il faut faire sauter le patriarcat, donc être féministe, et en même temps, il faut imaginer une autre économie d’autres rapports humains ; d’où l’utilité de multiplier les expériences autres, qui tentent de s’extraire du système, ou d’imaginer ce qui se passerait.

Il me paraît enfin indispensable de rappeler que toutes les femmes ne sont pas écologistes, ni féministes, que de nombreux hommes sont écologistes, que d’autres ou les mêmes, sont féministes… et que l’écoféminisme n’est interdit à personne.

Christine Mead.


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